C’était en novembre. Un après-midi froid et
lumineux. C’était à quelques kilomètres de Vesoul. Il y avait une voiture
blanche garé sur le bas côté d’une route. Il y avait aussi un jeune homme qui
fumait une cigarette. Il faisait des ronds de fumée. Un jeune homme qui
regardait la route déserte. On entendait des cris de corbeaux qui se
chamaillaient à la cime de vieux sapins et aussi le bruit féroce d’une
tronçonneuse dans le lointain. Le jeune homme s’appelait Dany. Dany ne savait
pas trop pourquoi il était revenu mais le jeune homme se trouvait là. Bel et bien là. Au même
endroit. Une des rares routes de Haute-Saône où le taux d’accident automobile
n’affolait pas les statistiques. Ici on voyait surtout circuler des tracteurs
et de vieilles mobylettes. Une petite route de campagne légèrement en pente qui
montait vers un vieux calvaire à travers bois et pâtures. Un endroit surtout
fréquenté par les psychopathes dépressifs en hiver et les jeunes couples
d’amoureux au printemps. Dany, tout en fumant, repensait à ce qui lui était arrivé, il y a
quelques mois. Le film de son souvenir défilait devant ses yeux. Il roulait au petit bonheur quand sa voiture avait
finit par déboucher dans ce coin-là. C’était arrivé un après-midi d’automne, un jour où Dany étrennait
son permis de conduire tout neuf avec la Peugeot de son père.
Çà avait surgit de nul part. C’était arrivé tout d’un
coup. Çà avait traversé la route
juste devant ses roues. Dany n’avait même pas freiné mais donné un brusque coup
de volant pour l’éviter. La voiture
était comme on dit parti dans le décor. A moitié renversée dans le fossé, elle
s’était méchamment cabossée contre un vieux muret de pierres. Dany s’en était
tiré avec une grosse frayeur et de petites égratignures. La voiture avait moins
eut de chance.
Dany s’en souvenait parfaitement. Çà ressemblait à un chat ou à une
fillette. Un peu au deux. Si c’était un chat, il courait debout sur ses pattes
arrières. Et si c’était une fillette, elle était très petite et avait de
grandes oreilles pointues. Dany se souvenait que çà avait les yeux verts. Çà
l’avait regardé juste une fraction de seconde avant de se faufiler dans les fourrés
de l’autre côté de la route.
Quand il avait ouvert la portière et s’était
extirpé de la voiture accidentée, Dany avait les jambes molles, les mains tremblantes et le cœur tambourinant. Il
avait un peu titubé en marchant sur le goudron de la route et là il avait
entendu quelque chose. Dany en était presque certain. Il avait entendu rire. Pas un rire tonitruant,
rien de très sonore mais il l’aurait juré, on riait. Un petit rire moqueur.
Depuis l’accident, Dany n’avait pas cessé de
repenser à ce rire minuscule. Ce rire l’obsédait. Qui pouvait rire d’un accident ? C’est çà qu’il se demandait. C’est
pour çà qu’il était revenu. Pour çà qu’il fumait sur une route déserte. En
espérant trouver une réponse. Mais est-ce
que les rires ont une réponse ? Quand son père lui avait demandé
comment il s’était débrouillé pour bousiller sa Peugeot sur une route droite à
soixante à l’heure et sans la moindre circulation. Dany n’avait pas bien sut
lui répondre. Faut se mettre à sa place. Difficile de dire que c’était la faute
d’une fillette avec des oreilles de chat ! Même si on n’a pas d’autre
explication, une comme çà, on la garde pour soi. On ne va pas la crier sur les
toits. Personne n’a très envie de passer pour un zinzin aux yeux de ses
contemporains. Apercevoir une fillette avec des oreilles de chat quand on est
ivre ou drogué passe encore. Mais quand on est dans son état normal c’est un
tantinet inquiétant. Dany avait lutté pour ne plus y penser mais il n’y était
pas arrivé. Il avait beau faire, il ne pouvait s’empêcher de penser que c’était
cette apparition de gamine féline qui avait rigolé. Mais quoi ? Qu’est-ce
qu’il croyait ? Qu’en revenant sur cette route, il allait la revoir ?
Peut-être même l’attraper ? Tout cela frisait le ridicule. Oui, au bout
d’un moment Dany a pensé c’était sans doute un peu stupide d’être revenu. Alors
il s’est décidé à repartir. Sans réponse. Il a écrasé son mégot sur le goudron.
Dany se dirigeait vers sa voiture. Une Peugeot
blanche qu’il avait acheté d’occasion. Dany n’a pas comprit tout de suite. Il
regardait la voiture blanche. Très lentement d’abord, elle s’est mise à
reculer. A glisser inexorablement en marche arrière sur la petite route en
pente. Pourtant il était certain d’avoir serré le frein à main ! Quand
Dany s’est enfin mis à courir, c’était bien trop tard. La voiture avait déjà prit
de la vitesse. Essoufflé, effaré Dany l’a regardé filer à toute allure vers un gros poteau électrique. Un de ces affreux piliers en bêton. On avait
l’impression que la voiture blanche le visait. Elle l’a percuté de plein fouet.
Un baiser de la mort ! Sous le choc
le poteau a été arraché de son socle et la voiture a finit sa course folle dans
un champ de patates. Elle avait l’air d’une épave. Et là, Dany a entendu rire.
Un petit rire moqueur.
3 commentaires:
Venir régulièrement sur votre blog, lire vos contes... sont des plaisirs à chaque fois renouvellés, un bol d'air frais très apaisant, un retour à l'essentiel. Merci pour tout ce que vous nous offrez !
merci Isa pour ces douces paroles ... et je suis sincèrement heureux que mes bricoleries de féericologue vous plaisent.
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