lundi 27 juin 2011

La VOUIVRE de la Lizaine

La Vouivre est le blason féerique de la Franche-Comté. Une fée déguisée en dragon qui a marqué de son empreinte faramineuse la moindre parcelle de cette région. A son âge d’Or, chaque village comtois connaissait « sa » Vouivre. Et, il n’était pas de source ou de fontaine qui ne l’ait vu boire ou se baigner.
Entre nous soit dit, cela devait être un rien obsédant ces Vouivres partout : bois de la Vouivre, fontaine de la Vouivre, grotte de la Vouivre, rue de la Vouivre…et des histoires de Vouivres comme s’il en pleuvait !

La légende de la Bête de la Shliffe

Cette Vouivre n’a pas bonne réputation. La preuve ? On l’affuble d’un sobriquet et on se refuse à prononcer son véritable nom. Oui mes amis, celle que l’on appelle « la Bête de la Shliffe » se nomme en vérité « Lusine ». Merveilleux prénom, si proche de celui de la Reine des Vouivres, la fée Mélusine.
Que n’a-t-on pas conté sur cette Vouivre !? Les meneurs de légendes s’en sont donnés à cœur joie. Au Grimoire des Sornettes, la Lusine remplirait bien des chapitres. En majorité, les bardes paysans et les folkloristes lettrés n’ont retenu que le Monstre, la Bête ! Durant des siècles, ils l’ont voué aux flammes des veillées. Pire que loups et même diables, la « Bête de la Schliffe » incarnait l’Ennemi. On la tenait responsable des pires calamités. Si des pluies torrentielles faisaient déborder les rivières c’était à cause de la Bête de la Schliffe dont les cris nocturnes crevaient les nuages. Si les gens tombaient malades et brûlaient de fièvre, la Bête de la Shliffe, à n’en pas douter, avait empoisonnée les cours d’eau. Chacun, agenouillé à l’heure de la prière du soir, invoquait Saint Georges, le terrasseur de Dragons ! Afin de s’en débarrasser. Et toujours les injures franc-comtoises s’abattaient sur elle : la « murie !» la « peute bête ! » « lou diâle lai prigne ! »
Seuls de rares humains tentèrent honnêtement de percer son mystère. Peu d’hommes en vérité furent capables de voir la fée derrière le monstre. Un dénommé Alfred F. fut de cette trempe. Inventeur de la vouivrologie, il fit en 1957 une découverte des plus extraordinaires. A cette époque on ne parlait plus guère de la Bête de la Schliffe. Comme pour conjurer le sort, on avait depuis longtemps changé le nom de sa rivière, elle ne s’appelait plus la Lusine mais la Lizaine.
Et pourtant, la Vouivre Lusine vivait cachée sous les eaux, elle y faisait depuis toujours des apparitions à la surface, à la manière de Nessie, le Monstre du Loch Ness. De siècle en siècle, les témoins relatèrent presque exactement la même scène : Surgissant des eaux comme l’épée celtique Escalibur brandit par la Dame du Lac des romans de la Table Ronde ; la Lusine, vouivre blanche, tendait, au dessus de la rivière, son escarboucle étincelante sous la clarté lunaire.
Alfred F. passa de longues nuits au bord de l’eau guettant le plus petit remous suspect. Le plus souvent, il installait son poste d’observation sur la berge où se dressait jadis le moulin de la Schliffe. Les conteurs montbéliardais juraient que c’était là son endroit favori. Alfred F. devint vite un sujet de railleries pour ses contemporains. Le « pêcheur de vouivres », comme on le surnommait, n’en avait cure. Une nuit, enfin !, il vit ce qu’il voulait voir…
La lune, pleine et ronde, se reflétait dans l’eau. Toute ruisselante de gouttelettes étincelantes, une longue patte écailleuse apparut. Elle enserrait une sorte de perle géante. Longtemps, elle la tint élevée comme une offrande vers l’astre nocturne. Les yeux hypnotisés par ce spectacle prodigieux, le chercheur en féerie vit apparaître une froide lueur verte au cœur de la perle. Puis dans un puissant hurlement aquatique, la patte de la Lusine disparut.
Sept années durant Alfred F. fut le spectateur privilégié de ce rituel sans pareil. En 1956, il publia à compte d’auteur, un essai intitulé : l’énigme de la Vouivre lunaire. Il en vendit sept exemplaires, dont deux à sa boulangère. En conclusion, il écrivait : « La Lusine ne se montre qu’à la pleine lune, elle y ranime sa perle magique en enfermant l’éclat de l’astre froid. ». Par la suite sa famille le fit interner dans un établissement alsacien soignant la démence mentale. Force, nous est de reconnaître que la Bête de la Schliffe ne s’en porta pas plus mal.


Il n’existe, à ce jour, encore aucune photo de cette Vouivre aquatique. Vous pouvez donc espérer être, sur un coup de chance, le photographe qui deviendra célèbre en prenant la première photographie du « Monstre de la Lizaine » !

mardi 21 juin 2011

Le cheval Gauvin


Depuis qu’il pousse des glands aux chênes, la fantastique forêt de Chaux enfante à minuit une créature galopante. Ses sabots résonnent dans les ténèbres tandis que sa longue crinière se déploie furieusement dans le vent. Ses hennissements sauvages ont l’accent féroce des rugissements de bêtes fauves.
La grande passion de cet étalon fabuleux consiste à faire monter sur son dos le noctambule attardé et d'aller le jeter dans la Loue.
Sa rencontre est le plus souvent signe de mort !

lundi 6 juin 2011

La Sirène de Mathay


Le seigneur de Mathay se promenait un soir au bord du Doubs. Perdu dans ses pensées, il marchait sur un chemin escarpé, envahi de buissons épineux et de ronciers en fleurs, lorsqu’il lui sembla entendre, surmontant la musique du fleuve, un chant comme un grand rire. Il s’approcha. Une jeune dame, assise sur un rocher, coiffait sa longue chevelure flamboyante avec un peigne d’or. Elle chantait dans un dialecte merveilleux :

miravel foli blau valilili
o-io o-io fleu dou fleu
cheuloulou mir guillilili
faralo lancelune alliouffle latoubleu

Caché derrière de vieux saules, le seigneur de Mathay ne pouvait se résoudre à quitter du regard l’inconnue. Jamais de sa vie, il n’avait vu une femme aussi belle. Elle ressemblait à un soleil, avec sa peau et ses cheveux de flammes. Fine et idéale, elle portait une robe légère d’un vert sombre et des bracelets de pierres mystérieuses s’enroulaient comme des serpents autour de ses bras nus. Il sentit comme un vent chaud lui courir sur tout le corps et en tomba fou amoureux. Ses premiers mots pour la dame furent : « voulez-vous m’épousez ? ». Elle ne dit ni oui ni non.
Dés cette date, il la retrouva chaque soir au bord du Doubs. Jamais, il ne se rassasiait de l’entendre et de parler avec elle. Toujours secrète, elle ne lui révélait ni d’où elle venait, ni où elle allait en le quittant vers minuit. A chaque fois, il lui reposait la même question. La belle le faisait languir, elle souriait d’un air mi-oui, mi-non.
Un jour, se promenant sur les lieux même de leur première rencontre, l’amoureux ne put se contenir, la magnifique dame sentit un baiser la piquer au cou. Elle poussa un petit cri rieur, s’échappa du bras de son compagnon et elle disparue en un clin d’œil, laissant le seigneur de Mathay des plus désemparés. Un instant plus tard, il vit sortir du Doubs, ruisselante et éblouissante, une jeune femme comme une sœur blonde de sa rousse bien-aimée. Plus magnifique encore ! Sur sa peau brillait la magie de la pleine lune. D’une voix voluptueuse, elle invita l’homme à la suivre parmi un bosquet de roseaux. Là où mille hommes n’auraient pas hésité plus longtemps qu’un battement de cils, lui le Seigneur de Mathay refusa tout net. Et pour en finir avec la blonde, il lui affirma être épris pour l’éternité d’une dame rousse. Sans le savoir, il venait de réussir l’épreuve imposée par sa belle. Alors elle dit oui au mariage mais à la condition étrange que chaque nuit de vendredi elle le quitterait et que jamais il ne cherche à la suivre. S’il rompait ce pacte alors leur union serait morte !
Deux jours après leur mariage fut célébré. Jamais encore, dans tout le pays, on n’avait vu bonheur aussi parfait. Jamais plus on ne le verra.
Il fallut dix ans, dix ans tout juste, pour que la curiosité vienne ronger le bel édifice de leur amour parfait. Une nuit de vendredi, une ombre suivit la châtelaine de Mathay. Une ombre qui l’épie et s’étonne. La dame se baigne dans le Doubs, elle nage à merveille. Rien de bien méchant. Une lubie ! sourit l’ombre. Et puis, s’approchant de la rive, l’ombre ne peut retenir un cri. Un cri d’épouvante ! Sous l’eau, dévoilée par la lune, la baigneuse nage, son corps nu terminé par une queue de poisson ! Le Seigneur de Mathay avait épousé une Sirène du Doubs !
Une vieille rumeur colporte que sous le choc de cette effroyable découverte l’époux de la Sirène aurait perdu la raison. Jamais, depuis cette nuit, il ne revit sa femme. On le surprenait parfois au bord de l’eau, assis sur un rocher, en train de chantonner pour lui-même:

miravel foli blau valilili
o-io o-io fleu dou fleu
cheuloulou mir guillilili
faralo lancelune alliouffle latoubleu



Le meilleur moment de la journée pour apercevoir la Sirène du Doubs est le crépuscule, lorsque les berges du fleuve se montrent désertes et silencieuses. Fuyante, mouvante, ondoyante cette Fille des Eaux a comme toutes celles de sa race un charme et une volupté qui l’emportent sur les femmes humaines les plus sensuelles. Certains Conteurs bien informés affirment que « Ses baisers ont le goût des pétales s’envolant des cerisiers de mai ».


un soir peut-être, vous la verrez apparaître...