La Vouivre est le blason féerique de la Franche-Comté. Une fée déguisée en dragon qui a marqué de son empreinte faramineuse la moindre parcelle de cette région. A son âge d’Or, chaque village comtois connaissait « sa » Vouivre. Et, il n’était pas de source ou de fontaine qui ne l’ait vu boire ou se baigner.
Entre nous soit dit, cela devait être un rien obsédant ces Vouivres partout : bois de la Vouivre, fontaine de la Vouivre, grotte de la Vouivre, rue de la Vouivre…et des histoires de Vouivres comme s’il en pleuvait !
La légende de la Bête de la Shliffe
Cette Vouivre n’a pas bonne réputation. La preuve ? On l’affuble d’un sobriquet et on se refuse à prononcer son véritable nom. Oui mes amis, celle que l’on appelle « la Bête de la Shliffe » se nomme en vérité « Lusine ». Merveilleux prénom, si proche de celui de la Reine des Vouivres, la fée Mélusine.
Que n’a-t-on pas conté sur cette Vouivre !? Les meneurs de légendes s’en sont donnés à cœur joie. Au Grimoire des Sornettes, la Lusine remplirait bien des chapitres. En majorité, les bardes paysans et les folkloristes lettrés n’ont retenu que le Monstre, la Bête ! Durant des siècles, ils l’ont voué aux flammes des veillées. Pire que loups et même diables, la « Bête de la Schliffe » incarnait l’Ennemi. On la tenait responsable des pires calamités. Si des pluies torrentielles faisaient déborder les rivières c’était à cause de la Bête de la Schliffe dont les cris nocturnes crevaient les nuages. Si les gens tombaient malades et brûlaient de fièvre, la Bête de la Shliffe, à n’en pas douter, avait empoisonnée les cours d’eau. Chacun, agenouillé à l’heure de la prière du soir, invoquait Saint Georges, le terrasseur de Dragons ! Afin de s’en débarrasser. Et toujours les injures franc-comtoises s’abattaient sur elle : la « murie !» la « peute bête ! » « lou diâle lai prigne ! »
Seuls de rares humains tentèrent honnêtement de percer son mystère. Peu d’hommes en vérité furent capables de voir la fée derrière le monstre. Un dénommé Alfred F. fut de cette trempe. Inventeur de la vouivrologie, il fit en 1957 une découverte des plus extraordinaires. A cette époque on ne parlait plus guère de la Bête de la Schliffe. Comme pour conjurer le sort, on avait depuis longtemps changé le nom de sa rivière, elle ne s’appelait plus la Lusine mais la Lizaine.
Et pourtant, la Vouivre Lusine vivait cachée sous les eaux, elle y faisait depuis toujours des apparitions à la surface, à la manière de Nessie, le Monstre du Loch Ness. De siècle en siècle, les témoins relatèrent presque exactement la même scène : Surgissant des eaux comme l’épée celtique Escalibur brandit par la Dame du Lac des romans de la Table Ronde ; la Lusine, vouivre blanche, tendait, au dessus de la rivière, son escarboucle étincelante sous la clarté lunaire.
Alfred F. passa de longues nuits au bord de l’eau guettant le plus petit remous suspect. Le plus souvent, il installait son poste d’observation sur la berge où se dressait jadis le moulin de la Schliffe. Les conteurs montbéliardais juraient que c’était là son endroit favori. Alfred F. devint vite un sujet de railleries pour ses contemporains. Le « pêcheur de vouivres », comme on le surnommait, n’en avait cure. Une nuit, enfin !, il vit ce qu’il voulait voir…
La lune, pleine et ronde, se reflétait dans l’eau. Toute ruisselante de gouttelettes étincelantes, une longue patte écailleuse apparut. Elle enserrait une sorte de perle géante. Longtemps, elle la tint élevée comme une offrande vers l’astre nocturne. Les yeux hypnotisés par ce spectacle prodigieux, le chercheur en féerie vit apparaître une froide lueur verte au cœur de la perle. Puis dans un puissant hurlement aquatique, la patte de la Lusine disparut.
Sept années durant Alfred F. fut le spectateur privilégié de ce rituel sans pareil. En 1956, il publia à compte d’auteur, un essai intitulé : l’énigme de la Vouivre lunaire. Il en vendit sept exemplaires, dont deux à sa boulangère. En conclusion, il écrivait : « La Lusine ne se montre qu’à la pleine lune, elle y ranime sa perle magique en enfermant l’éclat de l’astre froid. ». Par la suite sa famille le fit interner dans un établissement alsacien soignant la démence mentale. Force, nous est de reconnaître que la Bête de la Schliffe ne s’en porta pas plus mal.
Il n’existe, à ce jour, encore aucune photo de cette Vouivre aquatique. Vous pouvez donc espérer être, sur un coup de chance, le photographe qui deviendra célèbre en prenant la première photographie du « Monstre de la Lizaine » !