Maintenant que les forces mercantiles lâchent un peu la citrouille à cette vieille fête; j'ai moins de scrupule à avouer que j'aime Halloween ! Ces carnavalesques déambulations nocturnes glissent dans notre banale réalité un goût païen que je savoure voluptueusement. Oui, j'éprouve un plaisir étrange à croiser, au coin des rues, des fantômes, des sorcières et autres créatures fantastiques quémandeuses de sucreries. J'ai fugacement l'impression de vivre dans un monde à ma mesure, momentanément dépouillé de ses clowns ordinaires...
Les bonbons d' Halloween
Ca
s’est passé à la toute fin de l’autre siècle. Celui qui porte le no 20. Du
temps où Halloween tentait de s’installer dans les coutumes franc-comtoises.
Après tout, ce fameux Halloween ce n’était rien d’autres que la vieille fête
des betteraves creuses de la Saint-Martin mit à la mode américaine. Pour les gamins l’important c’était
surtout de faire une belle récolte de
bonbecs. Et si en plus, ils pouvaient foutre un peu les pétoches à quelques
voisins grincheux, çà c’était la cerise sur le gloubiboulga à la citrouille.
Ce
soir du 31 octobre, y’en avait une qui était vraiment contente. C’était Émeline
Fontana. La gamine passait les vacances de la Toussaint chez sa Tata Louisette et
elle allait participer à sa première fête d’Halloween. C’était vraiment
chouette parce que chez elle à Plancher-Bas, Halloween n’était pas encore à la
mode. A Mourière, ce hameau de Ronchamp, les déguisements des enfants ne
provenaient pas de la Farfouille. Non, ici rien de commercial. C’étaient uniquement
des bricolages maison. Un Halloween made in Haute-Saône. Quelques mamans aux
doigts de fées avaient hâtivement cousu les costumes des petits monstres qui
allaient écumer le quartier. Ils étaient cinq : un diablotin, un zombie,
un fantôme et deux sorcières. Fallait voir le tableau. Vers les sept heures du
soir, les petites canailles commencèrent leur déambulation dans les rues brumeuses
du hameau de Mourières. Ils jouaient à se faire peur avec des lampes de poches,
en poussant des rires affreux. La drôle de troupe - allant de porte en porte
pour réclamer des bonbons -, faisait un boucan à réveiller les morts. Ici où
là quelques grosses citrouilles illuminées placées sur une fenêtre indiquaient
qu’on attendait leur passage. Mais, citrouille ou pas, les cinq collecteurs
monstrueux passaient chez tout le monde, soucieux de ne rien négliger pour
garnir leurs besaces à friandises. Quand rien n’avait été prévu, les voisins
rançonnés improvisaient gentiment et donnaient en vrac un paquet de petit
beurres, des pastilles à la menthe, ou même quelques pièces de monnaies.
Les
gamins de Mourière terminaient presque leur tournée carnavalesque quand Émeline
eut un problème avec son couvre-chef pointu. Le galurin s’entêtait à lui tomber sur
les yeux. Aussi, Émeline se laissa quelque peu distancé pour le remettre bien
en place. Ne perdant pas de vue ses compagnons, elle fut surprise de voir qu’ils passaient sans s’arrêter devant ’une grande
maison grise. Peut-être que les habitants dormaient déjà ? Émeline allait, au pas de course, rejoindre
les autres quand elle aperçut de la lumière au rez-de chaussée. Alors, elle se prit le culot d’aller frapper
toute seule à la porte de la maison grise. La grille en fer du portail grinça
sinistrement pour saluer la visite de la petite sorcière.
Avant
même qu’Émeline ne tire sur la sonnette, une petite dame a ouvert la porte de
la maison grise. Elle portait de grosses lunettes aux verres si épais qui lui
donnaient des yeux de chouette. Comme elle semblait plutôt surprise de recevoir
la visite d’une si jeune sorcière ; Émeline du lui expliquer ce qu’était Halloween. La petite dame
eut un sourire malicieux. Cette fête des fantômes l’amusait bien. Elle abandonna quelques instants la petite
devant la porte puis revint avec gros paquet de bonbons roses. «
Fabrication maison » lui précisa-t-elle avant de lui souhaiter une bonne
nuit. Émeline courut bien vite retrouver
les autres qui déjà vidaient leur sac sur la table de la cuisine
de sa Tata Louisette.
C’était
le moment de partager le butin. Une petite montagne de sucrerie chimiques et
multicolore destinées a enrichir les dentistes et à produire une belle épidémie
d’indigestions. Dylan, le plus âgé des cinq réussit l’exploit de faire des
parts à peu près égales. On ne sait
pourquoi mais chacun eut envie de commencer son festin sucré par un de ces
drôles de gros bonbons roses Jamais encore les gamins, pourtant experts en la
matière n’avaient goûté de bonbons aussi bons.. En vérité, des bonbons à se
damner ! Chacun se demandait qui avait put offrir une chose aussi
délicieuse quand Émeline, la bouche pleine, révéla que c’était la vieille dame
de la maison grise.
Les
quatre gamins de Mourière tournèrent vers elle, leurs grands yeux tout ronds. La grosse maison grise ? Celle avec le
portail en fer forgé ? demanda doucement Dylan. Bin ouais, vachement sympa la mémé, précisa Émeline. Mais… mais, ce n’est pas possible. Maman dit
que ça fait plus de vingt ans que la maison grise n’est plus habitée !?
Quand Dylan eut annoncé cette chose incroyable, aussitôt les bonbons roses prirent dans la
bouche des enfants, un méchant petit goût salé et poivré !