lundi 28 octobre 2013

L'Esprit des noisetiers




En Haute-Saône, autrefois, on pouvait rencontrer un petit homme vert. On l’appelait «  l’Esprit des Noisetiers ». Guère plus gros qu’un chat, habillé d’un costume de feuillages, ce  bonhomme vert portait au menton, une longue barbe touffue qui ressemblait à de la mousse des bois. Sautillant de chêne rouvre  en bouleau blanc, il s’amusait à faire grincer les branches d’arbres, les unes contre les autres. Souvent, en se promenant sur le Mont Vaudois, les gens entendaient sa curieuse musique. Une sorte de complainte mélancolique qui réussissait à attendrir les cœurs les plus endurcit. Après une longue journée passée en forêt, les forts bûcherons et vieux bergers pouvaient rentrer au village avec les yeux embués de larmes brillantes. Quand, leurs épouses les voyaient revenir ainsi, elles ne manquaient jamais de ricaner : «  Oh ?, toi, tu as un peu trop écouté la chanson de l’Esprit des Noisetiers ». Le petit homme vert ne se montrait pas très souvent mais il lui arrivait parfois d’apparaitre à l’improviste. En levant le nez, on le voyait haut perché dans un feuillage. Amical et souriant,  il faisait de petits signes aux passants étonnés. Si certains s’arrêtaient un instant, il s’adressait à eux avec une douce voix d’enfant. Cet être pacifique semblait tout connaitre des gens qu’il rencontrait. Il les appelait par leur prénom, leur demandait des nouvelles de leurs enfants ou de leurs parents. Sans doute pouvait-il réciter à tous les villageois d’alentour, la liste de leurs ancêtres en remontant jusqu’au temps de Vercingétorix.  De lui, par contre, les gens de Luze ou d’Héricourt n’en savaient pas grand-chose. On disait qu’il imitait à la perfection le chant des oiseaux. Qu’il galopait, les soirs d’été, monté sur le dos d’un chevreuil.  Qu’il possédait surtout le pouvoir de commander aux arbres. Qu’il pouvait leur faire changer de place. Et c’était la raison pour laquelle, on s’égarait si souvent dans cette modeste forêt. Pour le reste, l’Esprit des Noisetiers se montrait résolument discret. Pas un homme n’aurait sut dire depuis combien de siècles, il vivait là.  Si quelqu’un tentait de s’approcher de lui d’un peu trop près, le petit homme vert se dissipait dans l’air à la manière d’une fumée. Bien vite, sa musique sylvestre se faisait entendre dans les profondeurs des bois.

La présence de cette créature pacifique donnait au Mont Vaudois, une aura de colline sacrée. Presque malgré eux, les gens y proféraient moins de jurons qu’ailleurs. Mêmes les chiens des chasseurs y aboyaient avec parcimonie. Nul doute que la musique de l’Esprit des Noisetiers était considérée comme un trésor inestimable par ces hommes d’autrefois.

Quand on a six ou sept ans, savoir qu’un petit homme vert habite près de chez vous ne peut qu’attiser votre curiosité naturelle. Malgré son jeune âge, Anatole Levrey avait déjà  contemplé pas mal de choses extraordinaires. Il avait vu, à la foire, un homme danser avec un ours apprivoisé. Il avait vu aussi, un après midi d’été,  une bande de pies attaquer une buse. Il avait également vu son grand frère embrasser sur la bouche la femme du boulanger. Tout ça n’était  certes pas de la gnognote mais à côté du petit homme vert, ces choses pourtant surprenantes  lui semblaient un peu fades.   Depuis toujours, Anatole Levrey ouvrait ses oreilles en grand  quand il entendait parler de l’Esprit des Noisetier. Son père, son grand-père, ses oncles et ses cousins disaient tous avoir entendu, une fois au moins, la musique du petit bonhomme. Anatole devait être le seul de sa famille à n’avoir jamais croisé le chemin de l’Esprit des Noisetiers.  L’envie lui vint alors de se mettre à sa recherche. Ce fut un  désir irrésistible.  Le gamin  ne voulait pas seulement l’entendre. Anatole Levrey voulait voir le petit homme vert en vrai !

Dés qu’il le pouvait, le jeune garçon partait courir sur les pentes du Mont Vaudois.  Pendant de longs mois, Il explora tous les coins et  recoins de la forêt sans rencontrer de succès. Un jour d’automne, enfin, alors qu’il commençait à perdre espoir, Anatole entendit une mélodie mystérieuse.  Tiré par les oreilles, l’enfant se dirigea vers  un bosquet de vieux noisetiers. Là, le petit homme vert Jouait avec les branches. Anatole l’écouta longtemps et des larmes de bonheur lui coulèrent le long des joues.

Quand, Anatole Levrey rentra au village, à la tombée du soir, sa mère l’attendait sur le seuil de la maison.  L’enfant lui raconta aussitôt sa fabuleuse rencontre. Elle le félicita car il n’était pas donné à tout le monde d’avoir la chance de voir le petit  homme vert.

Bien sûr, si une telle aventure survenait aujourd’hui à un gamin d’Héricourt, sa mère,  affolée, le conduirait au plus vite chez un psychologue, un docteur de la tête. Toutefois, de nos jours,on ne risque plus guère de rencontrer le petit homme vert.

Dans ce coin de Haute-Saône, on raconte que l’Elfe des Noisetiers cessa de faire entendre sa  douce musique à partir de 1874. A cette date, on construisit un fort militaire en haut du Mont Vaudois. La musique des arbres fut alors remplacée par le chant des canons.
 

vendredi 18 octobre 2013

COHORTE D'HALLOWEEN

Dans les brumes froides de l'automne lugubre commencent à s'agiter monstres et croquemitaines. 
Ils ont FAIM.Une affreuse fringale hurle dans leur ventre. Ils veulent de la chair fraîche. Ils veulent se mettre sous la dent du garnement, du polisson, du galopin, du chenapan... Bientôt ils ne feront qu'une bouchée de vos peurs ancestrales.

La cohorte d' Halloween  arrive bientôt !




dimanche 6 octobre 2013

GNOME DE POTAGER



C’était un jeudi soir. Il commençait à pleuvoir. Dans le ciel les gros nuages gris avaient des trognes de vieillards. Seuls les esprits particulièrement sensibles aux manifestations du surnaturel auraient peut-être put sentir qu’il ne s’agissait pas d’un soir ordinaire. D’un soir sans histoire. Il y’avait dans l’air quelque chose d’indéfinissable. Une sorte de lumière étrange qui faisait que les gouttes de pluie brillaient comme des perles de rosée en tombant du ciel.
C’était un jeudi soir. Dans un village dortoir. Le clocher de l’église n’allait plus tarder à sonner sept heures. Dans les maisons, on avait déjà allumé les lumières électriques.  Les mères préparaient le souper, les enfants finissaient leurs devoirs et les pères buvaient de la bière. Les rues, les cours, les places, les jardins du village étaient déserts. Absolument désert. La pluie tombait sans spectateur humain. Il allait arriver quelque chose que personne n’allait voir.
Derrière la dernière maison du village, un grand potager s’était mis comme tous les autres  à l’heure de l’automne. On y voyait encore quelques gros poireaux et deux ou trois citrouilles carribossues. Le reste n’était plus que friches et végétaux moribonds. Quand on passait par là, ce qui très vite attirait l’œil, c’était le Nain. Un très vieux nain de jardin aux couleurs fanées. Un vieux gnome solitaire et alsacien. Son bonnet rouge ressemblait vaguement à une coquille d’escargot. Et sa barbe d’un blanc fatigué était mouchetée de petites mousses vertes.
C’était un Nain de potager, il veillait sur les légumes. Depuis tant d’années qu’il avait vu défilé plusieurs générations de jardiniers. Et les derniers, de son point de vue,  n’étaient certes pas les meilleurs du genre. C’était un vieux Nain en céramique, un tantinet nostalgique.
Les gouttes de pluies brillantes qui tombèrent sur lui eurent un effet féerique. Comme la fée bleue qui  métamorphosa Pinocchio en véritable petit garçon ;  la pluie magique de ce jeudi soir insuffla au Nain de Jardin une vie de lutin. Sa peau de terre cuite devint palpitante et douce. Sa barbe se mit à frissonner sous le vent. Le Nain de Jardin était libéré de sa longue immobilité. Il était incroyablement vivant.
Dés qu’il sentit qu’il pouvait bouger les bras, bouger les pieds. Tirer la langue, faire des grimaces ;  le Nain de jardin se mit à danser une gigue endiablée au milieu des citrouilles et des vieux poireaux. Il s’est roulé dans la menthe pour parfumer son corps tout neuf. Il s’est frotté les mains sur des feuilles de sauge. Tous ces parfums, ces odeurs le rendaient un peu ivre. Agile comme un écureuil il a couru dans le verger, il a fait des pirouettes, des galipettes sous les vieux pommiers. Il a voulu jouer à saute-mouton avec un hérisson mais il l’a très vite regretté. Quoique sentir les piqures des épines sur ses mains l’a presque fait rire. C’était si nouveau pour lui,  la douleur.  C’était un jeudi soir fabuleux. Mais aucun humain n’était là pour le voir. Les humains ne sont pas très doués pour le merveilleux. Pendant que ses propriétaires, jardiniers amateurs, regardaient la météo à la télévision, lui le Nain magnifique dansait en riant aux éclats sous la pluie. Au loin, un chien aboya, sans doute avait-il sentit dans le vent  l’odeur inquiétante de l’extraordinaire. Le Gnome a jeté son bonnet rouge et s’est tressé une couronne avec des branchettes de lierres et de sureau. Il était beau et sauvage comme un esprit des bois d’autrefois.
Quand il a vu le chat qui s’abritait de la pluie sous la cabane de jardin, le Nain n’a pas put résister. Il avait toujours été jaloux de la liberté des félins de gouttière.
Il a sauté sur le dos du chat. Et il a fait du rodéo. Le Nain avait toujours rêvé de faire çà. Du rodéo. Le chat n’en revenait pas. Il courait dans tous les sens. Affolé, paniqué, terrorisé comme si on lui avait attaché une casserole au bout de la queue. Le Nain lui riait comme un bossu. D’un rire un peu méchant. La gaité de quelqu’un qui se venge de trop d’années de frustrations.
Imperceptiblement le Nain s’est avancé vers la forêt. Elle l’attirait, l’appelait. Une vieille forêt. Le nain de jardin allait y semer de la légende tout fraîche là où les bucherons l’avaient éradiqué depuis longtemps. Il allait devenir le génie  de la forêt. Il allait lui rendre son mystère. La réenchanter. Les chasseurs et les chercheurs de champignons n’allaient plus la reconnaitre.
Le nain de jardin changeait définitivement de métier il devenait Lutin de Forêt. C’était vraiment un drôle de jeudi soir.
Ce Lutin était né de la dernière pluie. Et, à  bien y réfléchir, c’était plutôt rare de pouvoir dire une chose comme çà.