illustration Y. CLEMENT (Le livre secret des Vouivres)
C’est toujours la même
histoire, les gens d’aujourd’hui croient que les fées n’existent plus. Ils
pensent qu’on ne peut plus en rencontrer. Que le moule du merveilleux se trouve
définitivement brisé. Que ces créatures fabuleuses appartiennent au temps passé
comme les dinosaures et Vercingétorix. Ils se disent que croire aux fées de nos
jours c’est comme se prendre pour Napoléon ou être persuader qu’Elvis Presley
est toujours vivant. Croire aux fées c’est être fada. Point final. Oui, ils
pensent cela. Jusqu’au jour… oui, jusqu’au fameux jour…jusqu’au jour
impossible.
Ce fut le cas de Michel.
Michel Molle. Un éleveur d’escargots qui habitait à Bavilliers.
Pour lui – même s’il le regrettait -, les fées séchaient depuis longtemps entre
les pages poussiéreuses des vieux contes de Perrault. Et rien, jamais, ne pourrait les délivrer. Elles y séchaient
pour l’éternité.
Depuis toujours, Michel
éprouvait un vrai plaisir à se balader dans les bois. Quand il partait en forêt
Michel Molle n’allait pas chasser, ni ramasser des champignons, ni couper du
bois, ni faire un jogging non, il allait
rêver. Enfin, il essayait. Rêver tout éveillé comme au temps de l’enfance.
Comme lorsqu’il restait des heures, derrière la fenêtre de sa chambre, à regarder tomber la pluie. Fasciné par la
danse des gouttes qui glissaient sur la vitre. Hélas, en ces temps matérialistes rêver n’était plus
très à la mode. Rêver était obsolète. Ce n’était pas une activité rentable. Pourtant Michel continuait d’essayer. Il
s’entêtait. Et la forêt lui semblait le lieu idéal pour muscler son onirisme. Il voulait se perdre dans les bois mais il
n’y arrivait jamais vraiment. Tout juste s’il parvenait parfois à connaitre de petits moments
d’égarement. On ne pouvait nier que les forêts avaient méchament rétrécis. Dans
son enfance, elles lui semblaient sans fin. Aujourd’hui, elles lui paraissaient
limitées. Et ce n’était pas seulement
parce que Michel Molle avait grandit. Les faits sont les faits : coincées
entre une autoroute et une ligne TGV,
les forêts franc-comtoises s’étaient bigrement ratatinées. Aujourd’hui les
sangliers et les chevreuils comprenaient la mélancolie des poissons rouges dans
leur bocal. Aujourd’hui, on allait plus
vite à Paris mais pour rêver ça devenait beaucoup plus long pour y arriver. Fallait
s’accrocher. Tourner en rond pour rendre la forêt plus grande.
Quand il allait dans les
bois, Michel Molle remarquait parfois de curieux cercles sombres dessinés dans
la mousse. Sans savoir pourquoi, il lui
venait souvent l’envie de s’assoir au milieu. Mais il avait toujours résisté
à cette tentation car il savait que ce curieux phénomène s’appelait un rond de
Fées. D’après la légende nul humain ne pouvait le franchir sans risquer d’y
perdre l’esprit.
Un jour d’hiver 2012, Michel Molle errait au petit bonheur dans la
forêt. C’était un hiver curieux, sans
neige. Un hiver qui ce jour-là ressemblait presque au printemps. Le soleil
brillait et dans l’air flottait des parfums précoces de renouveau. Michel approchait
d’une petite clairière quand il lui sembla apercevoir des lueurs étranges. Des
scintillements comme le ferait la lumière solaire se reflétant sur le miroir d’une
eau dormante. Il s’arrêta et s’accroupit au pied d’un grand hêtre pour
contempler ce spectacle. Alors Michel Molle eut envie de voir des fées. De les
fantasmer. Les yeux plissés la magie opéra peu à peu. Enfin, il parvint à rêver
tout éveillé.
A quelques pas de lui, elles dansent
une ronde. On dirait un vieux film muet d’autrefois. Elles dansent en 16
images par seconde. Elles dansent dans la lumière poussiéreuse d’un grand rayon
de soleil. Elles dansent sans faire le moindre de bruit. Comme si on avait
coupé le son de leurs rires. Six ou sept fées dont la joie silencieuse
ressemble à de la neige qui tombe.
Il les regarde, il les mange
des yeux. Sachant qu’il pourrait les regarder danser jusqu’à la fin de ses
jours. Sans jamais se lasser. Elles dansent et le temps n’existe plus. Il n’y a
plus de passé, de présent de futur, il n’y a que les fées. Des fées sans ailes
qui pourtant semblent voler. Une ronde magique qui lui fait tourner la tête.
Jamais encore, l’éleveur d’escargot n’avait
éprouvé un tel bonheur. Michel se sentait enchanté.
Mais le rêve éveillé se
montre de nature fragile. Il a suffit d’un nuage, d’un seul nuage pour effacer
ce mirage féerique. En un clin d’œil, la lumière du soleil a disparut. Un rien
dépité, Michel se releva, puis s’approcha de la clairière redevenu banale. Là, il
fit une découverte fort déconcertante.
A l’endroit même où ses fées imaginaires avaient dansé, un
cercle parfait s’imprimait dans la mousse. Un rond de fées ! Ainsi, ce
jour-là, Michel fut à jamais convaincu que rêver pouvait parfois laisser des
traces. Les empreintes d’un bonheur inoubliable…