Ce
jour-là, la météo faisait grise mine. Il tombait des gouttes. Pourtant madame
Bourquin s’était tout de même décidé à partir faire un petit tour dans les
bois. Elle en avait plus qu’assez de rester cloitré chez elle. Quinze jours au
moins que le froid l’avait dissuadé d’aller faire une promenade. Cette année-là
le printemps peinait à s’installer. Le calendrier affichait fin avril mais les
coucous et les anémones commençaient tout juste à tapisser les sous-bois.
Chaussée
de grandes bottes en caoutchouc rouges, Madame Bourquin était heureuse de retrouver
sa forêt. Il lui venait presque l’envie de chanter mais en fait elle avait
surtout lâché quelques jurons démodés en
découvrant des canettes de bières abandonnées au bord de son chemin. En maugréant,
elle les avait consciencieusement ramassés et fourrés dans un sac plastique
qu’elle emportait toujours avec elle quand elle partait en promenade. Ce n’était pas pour autant qu’elle se proclamait
écologiste, non mais madame Bourquin trouvait
que jeter ainsi des détritus se montrait très malpoli vis-à-vis de la
beauté forestière.
Il
pleuvait mais pas beaucoup. Elle se sentait revivre. Au gré de sa balade,
Madame Bourquin s’arrêtait ici où là pour observer les premiers bourgeons où s’accrochaient
de fines gouttelettes transparentes. En contemplant
ces petites merveilles toute simples elle se sentait heureuse. Elle marchait
depuis une demi-heure quand l’envie lui vint de descendre jusqu’au
ruisseau. Le petit cours d’eau serpentait en contrebas du sentier. Madame Bourquin est descendu prudemment. En
faisant craquer les branches mortes et en prenant bien garde de ne pas glisser
sur les feuilles humides. A presque soixante-dix ans elle restait
toujours intrépide. La partie du
bois où elle s’aventurait maintenant se
composait surtout de vieux arbres moussus, poilus. Des grands feuillus étranges
à l’écorce verte. Plus elle s’approchait et plus le chant du ruisseau
l’appelait. Il chuchotait « venez venez vous ne serez pas déçut.
Venez Béatrice. »
Il
n’y avait plus beaucoup de gens aujourd’hui qui l’appelait Béatrice. A bien y réfléchir c’était tout de même un peu curieux
que le petit ruisseau connaisse son prénom. Cette idée la fit sourire, Béatrice
Bourquin avait toujours eut l’esprit fantasque. S’imaginer que le ruisseau lui
parlait faisait partie des petites fantaisies qu’elle s’accordait. A son âge,
elle pouvait se le permettre.
Béatrice
se trouvait à quelques mètres des berges du ruisseau quand elle eut comme une
hallucination. Elle vit très nettement une chose délicieusement jolie mais
totalement incroyable. Béatrice Bourquin s’était arrêté de marcher. Et aussi
presque arrêté de respirer.
Madame
Bourquin regardait le ruisseau d’un air totalement désorienté. Elle n’arrivait
pas à en croire ses yeux. Là-bas, droit devant elle. Il y avait quelque chose
dans l’eau. Quelque chose qui s’agitait. Qui bougeait comme une chose réelle. Une
chose qui pourtant n’aurait pas dut être vrai. Elle a plusieurs fois cligné des yeux. Et puis,
elle s’est tout de même décidée à s’approcher. Encore plus doucement, encore
plus prudemment qu’auparavant. Là, dans l’eau, juste en dessous d’une petite
cascade, elle a vu… une fille qui se baignait. Qui faisait sa toilette dans
l’eau écumeuse et glacée. Oh ! Mais pas n’importe quelle fille. Une
petite. Une toute petite. Ah ! Çà c’est sûr ce n’était pas de la fille
ordinaire. Pas de celle qu’elle croisait à la boulangerie ou chez le boucher.
C’était une fille… verte. Du vert tendre
comme la couleur des jeunes orties. Madame Bourquin avait toujours du mal à
croire ce qu’elle voyait. Faut se mettre à sa place. Ce n’est quand même pas
tout les jours qu’on croise une fille verte qui en plus se baigne toute nue
dans un ruisseau.
Près
de la cascade, la créature se débarbouillait à grandes éclaboussures. La fille verte se frottait les pieds en
louchant un peu. A un moment elle s’est mise à chanter. La baigneuse ne s’était
toujours pas rendu compte que madame Bourquin l’observait depuis un bon quart
d’heure. Son chant très doux se mélangeait à celui du ruisseau. A peine plus grande qu’une fourchette, cette
fille verte était vraiment jolie. Elle coiffait ses longs cheveux. Des cheveux
noirs comme du charbon. Madame Bourquin éprouvait une telle fascination qu’elle
s’est approchée encore un peu. Juste un peu. Il y eut un gros craquement la
fille verte s’est tourné vers elle et lui a jeté un regard féroce. Elle s’est redressée
Et dix fois plus rapide qu’une
grenouille, elle a plongé dans les profondeurs du ruisseau !
Madame
Bourquin est resté là, toujours éberluée. Un peu sonné par ce qu’elle venait de
surprendre. Sur un petit rocher, tout près de l’endroit où la fille se
baignait, il y avait l’empreinte humide
d’un pied. Une minuscule empreinte parfaitement dessinée où l’on pouvait voir
six orteils...
Béatrice
a tout de suite comprit qu’elle ne pourrait jamais raconter son aventure. Tout
le monde aurait pensé qu’elle devenait gaga. De toute façons, à la réflexion,
elle n’avait pas tant envie que çà d’en parler. A moi, elle a tout-de-même
finit par me le raconter. Un soir de l’hiver dernier, elle m’a dit « tiens vous qu’aimer les
histoires, bin moi j’en aie vécu une que
vous n’allez jamais croire. »
Pourtant
Moi, son histoire je l’ai cru. La preuve, hier après midi, je suis descendu
près de son ruisseau. En espérant que moi aussi j’aurais la chance d’ apercevoir une petite dame verte. Mais je n'ai
rien vu, sauf une canette de bière vide qui flottait sur l’eau…