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C’était vraiment un beau dimanche d’automne. Un jour parfait pour aller faire un dernier pique-nique. Juste avant qu’il ne fasse trop froid. Un déjeuner sur l’herbe avec une grande nappe blanche et un gros panier d’osier rempli de salades multicolores et de petits sandwichs aux cornichons. Tom Barbot adorait ces festins en plein air. A huit ans, c’est lui qui avait suggéré à ses parents cette sortie dominicale. Franchement, c’était quand même plus chouette que de rester à la maison en compagnie de Michel Drucker.
Ce dimanche-là, après avoir roulé au petit bonheur sur de sinueuses routes champêtres, Tom et ses parents avaient déniché l’endroit idéal pour un pique-nique. Vers midi, ils s’étaient installés dans un joli coin de la campagne jurassienne, à l’ombre d’un vieux chêne aux feuilles déjà jaunissantes. La famille Barbot se trouvait non loin du village de Montbarrey à l’orée de la grande forêt de Chaux. Une forêt hantée par de nombreuses légendes.
Il faisait bon. Installés sur la nappe blanche la famille Barbot croquait cette belle journée d’automne à pleines dents. Complice, le soleil blanc leur lançait, de temps à autre, un petit clin d’œil à travers le feuillage. C’était vraiment une bonne idée de ne pas être resté scotché devant la télévision. Pour finir le repas, madame Barbot, toute souriante, a sorti de la glacière son fameux gâteau au chocolat.
Bien élevé, Tom demanda la permission d’aller manger son dessert en se baladant un peu dans la forêt. Sa mère a dit « d’accord mais ne t’éloigne pas trop ». La mère de Tom était une personne à priori raisonnable sauf qu’elle s’entêtait depuis des années à faire des pâtisseries au goût de carton bouilli. Aussi Tom n’était pas mécontent d’aller jouer au petit Poucet, en émiettant sa grosse part de gâteau sur le sentier. Après tout semer des traces sur son chemin n’était peut-être pas une si mauvaise idée car on appelait cet endroit « la forêt qui n’en finit jamais ». S’y perdre devait être des plus angoissants. Tom se retourna pour voir s’il ne s’était pas trop éloigné. Là, il vit posée sur le sentier une drôle de petite bestiole ailée. Elle reniflait une miette de chocolat que le gamin avait semé en marchant. Elle hésita un instant puis s’envola bien vite en emportant la miette entre ses pattes.
« Enfin quelqu’un qui aime les gâteaux de ma mère ! », fit Tom en rigolant.
Le gâteau au chocolat de sa mère devait être au goût de l’étrange bestiole car elle est revenue très vite pour voir si il en restait encore. Mais cette fois suivit par toute une bande de zigomars dans son genre. Accroupi contre un tronc d’arbre, Tom Barbot observait les bestioles qui maintenant par dizaines picoraient les miettes qu’il avait semé sur le chemin. Tom n’avait encore jamais vu ce genre d’insectes. Presque aussi gros que des oiseaux. A se demander si tous les animaux de cette forêt présentaient une taille anormale ? Sans qu’il y prenne garde, les fameuses bestioles vinrent virevolter autour de lui. Instinctivement, le gamin se mit à leur lancer en l’air les derniers morceaux de son gâteau et elles se chamaillèrent ces gourmandises comme des moineaux dans un square. Quand il eut les mains vides, ces petites bêtes aériennes vinrent faire du sur-place à quelques centimètres de son nez. Et là, Tom Barbot eut le choc de sa vie ! Vu de près elles ressemblaient à des espèces de libellules avec… des têtes de lutins ! Oui, oui de lutins avec bonnet, barbe pointue et tout le tintouin, des lutins, quoi ! Dans les vieilles légendes du pays, on les nommait :
« les Esprits Voltigeants ». Mais ça Tom ne le savait pas. Devant ce spectacle si étrange, il restait immobile avec la bouche ouverte comme une gargouille de cathédrale. Éberlué, qu’il était. Ça lui faisait un peu comme s’il venait de marcher sur la lune. Des lutins ailés !? C’était… c’était… Tom n’eut pas le temps de trouver le mot juste.
« les Esprits Voltigeants ». Mais ça Tom ne le savait pas. Devant ce spectacle si étrange, il restait immobile avec la bouche ouverte comme une gargouille de cathédrale. Éberlué, qu’il était. Ça lui faisait un peu comme s’il venait de marcher sur la lune. Des lutins ailés !? C’était… c’était… Tom n’eut pas le temps de trouver le mot juste.
Au loin, on criait son nom. Ses parents commençaient à s’inquiéter. Alors dans un souffle de vent, la petite bande lutine a disparut dans les profondeurs de la forêt de Chaux. Laissant au cœur du gamin une nostalgie immortelle.
Tom Barbot n’a rien raconté de cette fabuleuse rencontre à ses parents. S’il leur avait parlé des lutins ailés, sûr de sûr que son père aurait illico froncé les sourcils et rouspété qu’il était grand temps de grandir. Et Tom, grandir, il n’en avait pas très envie…