C’était
un jeudi soir. Il commençait à pleuvoir. Dans le ciel les gros nuages gris
avaient des trognes de vieillards. Seuls les esprits particulièrement sensibles
aux manifestations du surnaturel auraient peut-être put sentir qu’il ne
s’agissait pas d’un soir ordinaire. D’un soir sans histoire. Il y’avait dans
l’air quelque chose d’indéfinissable. Une sorte de lumière étrange qui faisait
que les gouttes de pluie brillaient comme des perles de rosée en tombant du
ciel.
C’était
un jeudi soir. Dans un village dortoir. Le clocher de l’église n’allait plus
tarder à sonner sept heures. Dans les maisons, on avait déjà allumé les
lumières électriques. Les mères
préparaient le souper, les enfants finissaient leurs devoirs et les pères
buvaient de la bière. Les rues, les cours, les places, les jardins du village étaient
déserts. Absolument désert. La pluie tombait sans spectateur humain. Il allait
arriver quelque chose que personne n’allait voir.
Derrière
la dernière maison du village, un grand potager s’était mis comme tous les
autres à l’heure de l’automne. On y voyait
encore quelques gros poireaux et deux ou trois citrouilles carribossues. Le
reste n’était plus que friches et végétaux moribonds. Quand on passait par là,
ce qui très vite attirait l’œil, c’était le Nain. Un très vieux nain de jardin
aux couleurs fanées. Un vieux gnome solitaire et alsacien. Son bonnet rouge
ressemblait vaguement à une coquille d’escargot. Et sa barbe d’un blanc fatigué
était mouchetée de petites mousses vertes.
C’était
un Nain de potager, il veillait sur les légumes. Depuis tant d’années qu’il
avait vu défilé plusieurs générations de jardiniers. Et les derniers, de son
point de vue, n’étaient certes pas les
meilleurs du genre. C’était un vieux Nain en céramique, un tantinet
nostalgique.
Les
gouttes de pluies brillantes qui tombèrent sur lui eurent un effet féerique.
Comme la fée bleue qui métamorphosa
Pinocchio en véritable petit garçon ;
la pluie magique de ce jeudi soir insuffla au Nain de Jardin une vie de
lutin. Sa peau de terre cuite devint palpitante et douce. Sa barbe se mit à frissonner
sous le vent. Le Nain de Jardin était libéré de sa longue immobilité. Il était
incroyablement vivant.
Dés
qu’il sentit qu’il pouvait bouger les bras, bouger les pieds. Tirer la langue,
faire des grimaces ; le Nain de
jardin se mit à danser une gigue endiablée au milieu des citrouilles et des
vieux poireaux. Il s’est roulé dans la menthe pour parfumer son corps tout neuf.
Il s’est frotté les mains sur des feuilles de sauge. Tous ces parfums, ces
odeurs le rendaient un peu ivre. Agile comme un écureuil il a couru dans le
verger, il a fait des pirouettes, des galipettes sous les vieux pommiers. Il a
voulu jouer à saute-mouton avec un hérisson mais il l’a très vite regretté.
Quoique sentir les piqures des épines sur ses mains l’a presque fait rire.
C’était si nouveau pour lui, la
douleur. C’était un jeudi soir fabuleux.
Mais aucun humain n’était là pour le voir. Les humains ne sont pas très doués
pour le merveilleux. Pendant que ses propriétaires, jardiniers amateurs,
regardaient la météo à la télévision, lui le Nain magnifique dansait en riant
aux éclats sous la pluie. Au loin, un chien aboya, sans doute avait-il sentit dans
le vent l’odeur inquiétante de
l’extraordinaire. Le Gnome a jeté son bonnet rouge et s’est tressé une couronne
avec des branchettes de lierres et de sureau. Il était beau et sauvage comme un
esprit des bois d’autrefois.
Quand
il a vu le chat qui s’abritait de la pluie sous la cabane de jardin, le Nain
n’a pas put résister. Il avait toujours été jaloux de la liberté des félins de
gouttière.
Il a sauté sur le dos du chat. Et il a fait du rodéo. Le Nain avait toujours rêvé de
faire çà. Du rodéo. Le chat n’en revenait pas. Il courait dans tous les sens.
Affolé, paniqué, terrorisé comme si on lui avait attaché une casserole au bout
de la queue. Le Nain lui riait comme un bossu. D’un rire un peu méchant. La
gaité de quelqu’un qui se venge de trop d’années de frustrations.
Imperceptiblement
le Nain s’est avancé vers la forêt. Elle l’attirait, l’appelait. Une vieille
forêt. Le nain de jardin allait y semer de la légende tout fraîche là où les
bucherons l’avaient éradiqué depuis longtemps. Il allait devenir le génie de la forêt. Il allait lui rendre son
mystère. La réenchanter. Les chasseurs et les chercheurs de champignons
n’allaient plus la reconnaitre.
Le
nain de jardin changeait définitivement de métier il devenait Lutin de Forêt.
C’était vraiment un drôle de jeudi soir.
Ce Lutin était né de la dernière pluie. Et, à
bien y réfléchir, c’était plutôt rare de pouvoir dire une chose comme
çà.
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