Quand les Bergeret déménagèrent dans ce petit
village de la vallée du Doubs, la cadette de la famille ne fut guère enchantée.
Si son frère et ses parents ne voyaient rien à redire au fait de s’installer
dans un patelin qui s’appelait Fessevillers ;
la petite Sophie, elle, en fut très contrariée. Elle trouvait ce nom
« cucul la praline ». Sophie n’avait même pas osé le prononcer devant
ses camarades d’école.
Fessevillers ! A son avis, on ne pouvait pas trouver de nom plus
ridicule dans toute la Franche-Comté.
Quand elles l’appendraient, sûr que ses copines n’allaient pas se priver
de se moquer d’elle. A la récréation, ces petites pestes iront raconter à tout le monde que Sophie Bergeret
habitait maintenant le « village
des fesses ». Rien que d’y penser, Sophie marmonnait des gros mots et
faisait des grimaces hystériques. Ce déménagement ne lui plaisait vraiment pas.
Ayant quitté la ville et son bon air parfumé de gaz d’échappement, la fillette jugea d’abord que son nouveau
pays sentait la bouse de vache. Ensuite,
Sophie décréta que sa nouvelle maison
était infestée d’araignées et de crottes de souris. Là, la petite exagérait
effrontément, même si durant les quelques années où la maison n’avait pas été
habitée, araignées et souris y prirent quelques mauvaises habitudes. Pour bien
afficher sa mauvaise humeur, la gamine passait des heures, avachie sur le
canapé du salon, plongée dans Les
Malheurs de Sophie, le célèbre roman pour enfants de la comtesse de Ségur.
Sa mère, pour plaisanter, lui avait dit qu’elle devrait plutôt lire Un bon Petit Diable. Sophie Bergeret ne
daigna même pas lui concéder un sourire.
Par chance, au bout de quelques jours, Sophie
Bergeret eut la bonne surprise de découvrir une vieille balançoire abandonnée
dans le fond du jardin. Sa bouderie disparut aussitôt. Son père prudent en
testa la solidité avant de l’autoriser à jouer dessus. Malgré son âge avancé,
la balançoire semblait construite pour durer mille ans. Dorénavant, Sophie
passa le plus clair de son temps dans le jardin. A se balancer. Ses parents et
son frère plus encore furent bien soulagés de ne plus l’entendre ronchonner à
longueur de temps. A coup sûr, cette balançoire était un don des fées !
Accrochée sur une haute branche d’un énorme tilleul, elle permettait à Sophie
de vivre des aventures extraordinaires. Tantôt, elle s’imaginait volant sur le
dos d’un aigle géant ou bien elle se voyait en reine des pirates naviguant vers
des iles aux trésors. On ne saurait dire toutes les histoires qu’une vieille
balançoire peut se montrer capable d’inventer. La magie continuait même quand
Sophie dormait : la nuit, la fillette rêvait qu’elle se dandinait sur une
balançoire étincelante accrochée au croissant de lune.
Sophie
Bergeret habitait Fessevillers depuis une semaine ; quand, une nuit de
juillet, un petit couinement métallique la réveilla brusquement. Les yeux à
peine ouverts, elle sut que c’était sa balançoire qui l’appelait. De la fenêtre
de sa chambre, la fillette pouvait, à la lumière des étoiles, l’apercevoir qui
bougeait toute seule. D’abord, Sophie pensa que c’était le vent qui l’agitait.
Mais bien vite elle remarqua que les feuilles des arbres ne bougeaient pas. Le
grincement continuait à un rythme régulier Ca ressemblait à une comptine
lointaine ou au rire légers d’une souris de dessin-animé. Sophie devait être la
seule à l’entendre. La chambre de son frère comme celle de ses parents ne
donnaient pas sur le jardin. La fillette resta encore quelques secondes à
regarder la balançoire aller et venir. Ce n’était pas un grand mouvement juste
quelques centimètres. Juste de quoi l’appeler.
Sans
allumer la lumière, Sophie descendit
prudemment l’escalier puis elle sortit de la maison par la porte de
derrière. A petits pas, elle marcha
pieds nus sur l’herbe douce du jardin. En
arrivant près du vieux tilleul l’enfant constata que la balançoire
restait sagement immobile. Sans rien comprendre, elle fit une petite moue
perplexe en haussant les épaules.
C’était tout de même une situation très étrange que de se retrouver tout
seule dans le jardin au plein cœur de la nuit.
Sophie aimait bien, elle décida donc d’en profiter. A peine assise sur la balançoire celle-ci se
mit à se mouvoir à nouveau paisiblement. Comme une barque bercer par les
vagues. La fillette n’avait nul besoin d’agiter ses bras et ses jambes.
Y’avait-il au monde quelque chose de plus délicieux que d’être bercer ainsi sous les étoiles ?
La fillette de sept ans devinait que cette nuit-là tout pouvait arriver.
Imperceptiblement
de petites lueurs vinrent tournicoter autour de l’escarpolette. Sophie
s’émerveilla en pensant qu’il s’agissait de lucioles mais en plissant les yeux
elle distingua des dames minuscules aux ailes de libellules ou de papillons.
Par magie, elles guidaient la balançoire. Petites fées qui offraient à Sophie
son plus fabuleux souvenir d’enfant.
Cette belle nuit bleue d’été, Sophie ne regrettait
plus d’avoir quitté la grande ville.
Alors qu’elle se balançait en regardant le ciel étoilé, Sophie Bergeret
vit, tout-à-coup, les petites lumières blanches s’agiter. Eberluée, elle les
vit s’assembler dans le noir pour former en pointillé le mot Fée. Cette constellation inédite ne
dura que quelques secondes. Juste le temps de cligner des yeux. Alors, une voix
très douce lui souffla à l’oreille que son village possédait un nom secret, il
s’appelait en vérité : Féevillers, le « village des
fées ».
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