dimanche 24 novembre 2013

la balançoire des fées



Quand les Bergeret déménagèrent dans ce petit village de la vallée du Doubs, la cadette de la famille ne fut guère enchantée. Si son frère et ses parents ne voyaient rien à redire au fait de s’installer dans un patelin qui s’appelait Fessevillers ; la petite Sophie, elle, en fut très contrariée. Elle trouvait ce nom « cucul la praline ». Sophie n’avait même pas osé le prononcer devant ses camarades d’école.  Fessevillers ! A son avis, on ne pouvait pas trouver de nom plus ridicule dans toute la Franche-Comté.  Quand elles l’appendraient, sûr que ses copines n’allaient pas se priver de se moquer d’elle. A la récréation, ces petites pestes  iront raconter à tout le monde que Sophie Bergeret habitait maintenant  le « village des fesses ». Rien que d’y penser, Sophie marmonnait des gros mots et faisait des grimaces hystériques. Ce déménagement ne lui plaisait vraiment pas. Ayant quitté la ville et son bon air parfumé de gaz d’échappement,  la fillette jugea d’abord que son nouveau pays sentait la bouse de vache.  Ensuite, Sophie décréta  que sa nouvelle maison était infestée d’araignées et de crottes de souris. Là, la petite exagérait effrontément, même si durant les quelques années où la maison n’avait pas été habitée, araignées et souris y prirent quelques mauvaises habitudes. Pour bien afficher sa mauvaise humeur, la gamine passait des heures, avachie sur le canapé du salon, plongée dans Les Malheurs de Sophie, le célèbre roman pour enfants de la comtesse de Ségur. Sa mère, pour plaisanter, lui avait dit qu’elle devrait plutôt lire  Un bon Petit Diable. Sophie Bergeret ne daigna  même pas lui concéder un sourire.

 Par chance, au bout de quelques jours, Sophie Bergeret eut la bonne surprise de découvrir une vieille balançoire abandonnée dans le fond du jardin. Sa bouderie disparut aussitôt. Son père prudent en testa la solidité avant de l’autoriser à jouer dessus. Malgré son âge avancé, la balançoire semblait construite pour durer mille ans. Dorénavant, Sophie passa le plus clair de son temps dans le jardin. A se balancer. Ses parents et son frère plus encore furent bien soulagés de ne plus l’entendre ronchonner à longueur de temps. A coup sûr, cette balançoire était un don des fées ! Accrochée sur une haute branche d’un énorme tilleul, elle permettait à Sophie de vivre des aventures extraordinaires. Tantôt, elle s’imaginait volant sur le dos d’un aigle géant ou bien elle se voyait en reine des pirates naviguant vers des iles aux trésors. On ne saurait dire toutes les histoires qu’une vieille balançoire peut se montrer capable d’inventer. La magie continuait même quand Sophie dormait : la nuit, la fillette rêvait qu’elle se dandinait sur une balançoire étincelante accrochée au croissant de lune.

 Jh



Sophie Bergeret habitait Fessevillers depuis une semaine ; quand, une nuit de juillet, un petit couinement métallique la réveilla brusquement. Les yeux à peine ouverts, elle sut que c’était sa balançoire qui l’appelait. De la fenêtre de sa chambre, la fillette pouvait, à la lumière des étoiles, l’apercevoir qui bougeait toute seule. D’abord, Sophie pensa que c’était le vent qui l’agitait. Mais bien vite elle remarqua que les feuilles des arbres ne bougeaient pas. Le grincement continuait à un rythme régulier Ca ressemblait à une comptine lointaine ou au rire légers d’une souris de dessin-animé. Sophie devait être la seule à l’entendre. La chambre de son frère comme celle de ses parents ne donnaient pas sur le jardin. La fillette resta encore quelques secondes à regarder la balançoire aller et venir. Ce n’était pas un grand mouvement juste quelques centimètres. Juste de quoi l’appeler.

Sans allumer la lumière, Sophie  descendit prudemment l’escalier puis elle sortit de la maison par la porte de derrière.  A petits pas, elle marcha pieds nus sur l’herbe douce du jardin. En  arrivant près du vieux tilleul l’enfant constata que la balançoire restait sagement immobile. Sans rien comprendre, elle fit une petite moue perplexe en haussant les épaules.  C’était tout de même une situation très étrange que de se retrouver tout seule dans le jardin au plein cœur de la nuit.  Sophie aimait bien, elle décida donc d’en profiter.  A peine assise sur la balançoire celle-ci se mit à se mouvoir à nouveau paisiblement. Comme une barque bercer par les vagues. La fillette n’avait nul besoin d’agiter ses bras et ses jambes. Y’avait-il au monde quelque chose de plus délicieux que  d’être bercer ainsi sous les étoiles ? La fillette de sept ans devinait que cette nuit-là tout pouvait arriver.

Imperceptiblement de petites lueurs vinrent tournicoter autour de l’escarpolette. Sophie s’émerveilla en pensant qu’il s’agissait de lucioles mais en plissant les yeux elle distingua des dames minuscules aux ailes de libellules ou de papillons. Par magie, elles guidaient la balançoire. Petites fées qui offraient à Sophie son plus fabuleux souvenir d’enfant.

Cette belle nuit bleue d’été, Sophie ne regrettait plus d’avoir quitté la grande ville.  Alors qu’elle se balançait en regardant le ciel étoilé, Sophie Bergeret vit, tout-à-coup, les petites lumières blanches s’agiter. Eberluée, elle les vit s’assembler dans le noir pour former en pointillé le mot Fée. Cette constellation inédite ne dura que quelques secondes. Juste le temps de cligner des yeux. Alors, une voix très douce lui souffla à l’oreille que son village possédait un nom secret, il s’appelait  en vérité : Féevillers, le « village des fées ».


 




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