Comme une mauvaise herbe impossible à
éradiquer, la rumeur de la Houillère renaissait régulièrement sur les
langues des commères du village. Agile comme une couleuvre, elle se faufilait dans
les croustillants radotages des boulangeries, dans les papotages ébouriffants des salons de
coiffure, dans les blagues apéritives des bistros champêtres et dans les
bavardages puérils des cours de récréations. En vrai de vrai, une ou deux fois par an, la
rumeur se propageait aussi vite qu’une épidémie de gastro-entérite. Dans son
genre, elle n’était pas très vieille ; pas assez rabâchée pour s’être métamorphosée en légende locale. Cela faisait
à peine une dizaine d’années qu’elle
sévissait dans le coin. Là-bas, on murmurait que certaines personnes avaient
mystérieusement disparut sur la vieille route qui traverse la forêt de la
Houillère. Oui, à ce qu’on en savait les victimes étaient surtout des
promeneurs du dimanche et un ou deux auto-stoppeurs. Enfin c’est ce qu’on
racontait avec les lèvres pincées et les sourcils froncés.
Des gens qui disparaissent sans explication comme évaporés dans l’air, on peut le
comprendre, çà fout la pétoche aux
autochtones. A presque tous. Les gens veulent bien mourir puisque c’est une
chose normale qui arrive à tous mais disparaitre, ça ils n’ont pas très envie. Ca ce n’est pas très
catholique.
N’allez surtout pas croire que dans ce
coin-là, on était plus superstitieux, plus crédules qu’ailleurs. Pas du tout.
Ici, les légendes de Dames Blanches qui
font de l’auto-stop, les racontars sur les gitans qui jettent des mauvais
sorts, les vieilles histoires sur les maisons hantées ; de tout cela on en
rigolait, on en plaisantait à voix haute. On appelait çà des fariboles. Par contre, des disparitions de la Houillère
on n’en parlait pas facilement et si on le faisait c’était toujours à voix basse. Les disparitions ce
n’était pas de la rigolade.
La petite route qui traverse la forêt de la Houillère
n’avait jamais été très fréquentée. Mais depuis que rôdait la rumeur des mystérieuses
disparitions c’était devenu l’endroit à éviter. Le lieu maudit de la région. Plutôt que de l’emprunter beaucoup
d’automobilistes préféraient faire un détour de plusieurs kilomètres. Chasseurs, joggeurs et chercheurs de
champignons avaient totalement déserté ce secteur forestier. A un
moment l’affaire était devenue si grave que le conseil municipal avait été tenté
d’installer à l’entrée de la route des panneaux de signalisation indiquant : « attention risque de disparition ! ».
Ce
matin-là, il y avait une femme qui promenait son chien. Elle s’appelait madame
Martin, c’était une nouvelle habitante du village. Elle avait fait construire un petit pavillon,
pas très loin de la forêt de la Houillère.
Elle arrivait de Besançon et elle était très contente de vivre
maintenant à la campagne. Elle disait que la vie ici était beaucoup plus calme
qu’en ville. Personne au village ne lui
avait parlé de la rumeur. Une rumeur çà
a vite fait de faire chuter le prix de l’immobilier. Alors on n’en parle pas à
tout le monde.
Depuis
qu’elle vivait là, Madame Martin promenait son chien tous les matins entre onze
heures et midi. Elle ne le voyait pas
encore mais ce matin-là, il y avait un petit tourbillon de feuilles mortes qui
s’agitait au milieu de la route déserte.
D’abord,
c’est le chien, le caniche abricot, qui a
vu cette petite chose étrange. Ce petit tourbillon. Une sorte de tornade
lilliputienne. Ça courait au ras du sol en agaçant la poussière de la route.
Madame Martin en l’apercevant à son tour a sourit et a trouvé le spectacle
enchanteur. Oui c’est ce mot là qui lui est venu à l’esprit « enchanteur ». Ça n’a l’air de rien
un petit tourbillon. On se dit qu’on n’a rien à craindre. Que personne ne peut
avoir peur de ça. Mais voilà, ce matin-là, plus la femme s’approchait et plus
le tourbillon grossissait. Il y avait de
plus en plus de feuilles mortes qui s’agitaient. En rien de temps c’est devenu
comme un essaim géant. Une chose mystérieuse et grouillante. Une chose qui a
finit par avaler madame Martin.
Le
tourbillon l’a enveloppé puis a très vite formé autour d’elle une sorte de
chrysalide. C’était doux et plutôt confortable.
Telle
une chenille enfermée dans son cocon, madame Martin est restée une petite heure
prisonnière du tourbillon. Et puis brusquement il l’a relâché…recraché !
Madame
Martin se retrouva totalement transformé, elle était devenue… un écureuil ! Oui
le petit tourbillon était magique, enchanteur,
il changeait en animaux, les humains qu’il rencontrait. Les gens ne
disparaissaient pas vraiment, ils devenaient des animaux sauvages.
Alors
si d’aventure, un de ces jours, vous
veniez à passer sur la route qui traverse la forêt de la Houillère ; vous
verrez c’est un endroit où l’on rencontre beaucoup d’animaux. Ils ne sont pas
farouches et ils ont l’air bien heureux de leur existence. Et si vous avez envie de changer de vie, vous
pouvez toujours vous mettre en quête de ce petit tourbillon. Moi, je vous
verrais bien transformé en renard ou en petite souris…
2 commentaires:
De tous temps , depuis le fond des Ages , les récits de métamorphoses ont fasciné les humains ...
Circé la magicienne qui changea les compagnons d'Ulysse en pourceaux dans l'Odyssée d'Homère ...
Apollon qui transforma la nymphe Daphné en laurier , repris plus tard par Ovide dans ses "Métamorphoses"...
oui, ces références classiques peuvent se compléter avec le combat désopilant de Merlin l' Enchanteur et de Madame Mim...!
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