En
Haute-Saône, autrefois, on pouvait rencontrer un petit homme vert. On
l’appelait « l’Esprit des Noisetiers ». Guère plus gros qu’un chat,
habillé d’un costume de feuillages, ce bonhomme vert portait au menton, une
longue barbe touffue qui ressemblait à de la mousse des bois. Sautillant de
chêne rouvre en bouleau blanc, il
s’amusait à faire grincer les branches d’arbres, les unes contre les autres. Souvent,
en se promenant sur le Mont Vaudois, les gens entendaient sa curieuse musique. Une
sorte de complainte mélancolique qui réussissait à attendrir les cœurs les plus
endurcit. Après une longue journée passée en forêt, les forts bûcherons et vieux
bergers pouvaient rentrer au village avec les yeux embués de larmes brillantes.
Quand, leurs épouses les voyaient revenir ainsi, elles ne manquaient jamais de
ricaner : « Oh ?, toi,
tu as un peu trop écouté la chanson de l’Esprit des Noisetiers ». Le petit
homme vert ne se montrait pas très souvent mais il lui arrivait parfois
d’apparaitre à l’improviste. En levant le nez, on le voyait haut perché dans un
feuillage. Amical et souriant, il
faisait de petits signes aux passants étonnés. Si certains s’arrêtaient un
instant, il s’adressait à eux avec une douce voix d’enfant. Cet être pacifique semblait
tout connaitre des gens qu’il rencontrait. Il les appelait par leur prénom,
leur demandait des nouvelles de leurs enfants ou de leurs parents. Sans doute
pouvait-il réciter à tous les villageois d’alentour, la liste de leurs ancêtres
en remontant jusqu’au temps de Vercingétorix. De lui, par contre, les gens de Luze ou
d’Héricourt n’en savaient pas grand-chose. On disait qu’il imitait à la
perfection le chant des oiseaux. Qu’il galopait, les soirs d’été, monté sur le
dos d’un chevreuil. Qu’il possédait
surtout le pouvoir de commander aux arbres. Qu’il pouvait leur faire changer de
place. Et c’était la raison pour laquelle, on s’égarait si souvent dans cette modeste
forêt. Pour le reste, l’Esprit des Noisetiers se montrait résolument discret.
Pas un homme n’aurait sut dire depuis combien de siècles, il vivait là. Si quelqu’un tentait de s’approcher de lui
d’un peu trop près, le petit homme vert se dissipait dans l’air à la manière
d’une fumée. Bien vite, sa musique sylvestre se faisait entendre dans les
profondeurs des bois.
La
présence de cette créature pacifique donnait au Mont Vaudois, une aura de
colline sacrée. Presque malgré eux, les gens y proféraient moins de jurons
qu’ailleurs. Mêmes les chiens des chasseurs y aboyaient avec parcimonie. Nul
doute que la musique de l’Esprit des Noisetiers était considérée comme un
trésor inestimable par ces hommes d’autrefois.
Quand
on a six ou sept ans, savoir qu’un petit homme vert habite près de chez vous ne
peut qu’attiser votre curiosité naturelle. Malgré son jeune âge, Anatole Levrey
avait déjà contemplé pas mal de choses
extraordinaires. Il avait vu, à la foire, un homme danser avec un ours
apprivoisé. Il avait vu aussi, un après midi d’été, une bande de pies attaquer une buse. Il avait
également vu son grand frère embrasser sur la bouche la femme du boulanger.
Tout ça n’était certes pas de la
gnognote mais à côté du petit homme vert, ces choses pourtant surprenantes lui semblaient un peu fades. Depuis
toujours, Anatole Levrey ouvrait ses oreilles en grand quand il entendait parler de l’Esprit des
Noisetier. Son père, son grand-père, ses oncles et ses cousins disaient tous
avoir entendu, une fois au moins, la musique du petit bonhomme. Anatole devait
être le seul de sa famille à n’avoir jamais croisé le chemin de l’Esprit des
Noisetiers. L’envie lui vint alors de se
mettre à sa recherche. Ce fut un désir
irrésistible. Le gamin ne voulait pas seulement l’entendre. Anatole
Levrey voulait voir le petit homme vert en vrai !
Dés
qu’il le pouvait, le jeune garçon partait courir sur les pentes du Mont
Vaudois. Pendant de longs mois, Il
explora tous les coins et recoins de la
forêt sans rencontrer de succès. Un jour d’automne, enfin, alors qu’il commençait
à perdre espoir, Anatole entendit une mélodie mystérieuse. Tiré par les oreilles, l’enfant se dirigea
vers un bosquet de vieux noisetiers. Là,
le petit homme vert Jouait avec les branches. Anatole l’écouta longtemps et des
larmes de bonheur lui coulèrent le long des joues.
Quand,
Anatole Levrey rentra au village, à la tombée du soir, sa mère l’attendait sur
le seuil de la maison. L’enfant lui
raconta aussitôt sa fabuleuse rencontre. Elle le félicita car il n’était pas
donné à tout le monde d’avoir la chance de voir le petit homme vert.
Bien
sûr, si une telle aventure survenait aujourd’hui à un gamin d’Héricourt, sa
mère, affolée, le conduirait au plus
vite chez un psychologue, un docteur de la tête. Toutefois, de nos jours,on ne
risque plus guère de rencontrer le petit homme vert.
Dans
ce coin de Haute-Saône, on raconte que l’Elfe des Noisetiers cessa de faire
entendre sa douce musique à partir de
1874. A cette date, on construisit un fort militaire en haut du Mont Vaudois.
La musique des arbres fut alors remplacée par le chant des canons.
2 commentaires:
Salut à toi féericologue enchanteur! J'ai lu, que dis-je, j'ai dévoré tes "Franches-contées" et je me suis régalé! Superbe voyage en Franche-Comtée, Jura et Hôte Saone!!
Voilà qui donne des idées pour rester à l'affût des histoires de chez nous!
Merci donc pour les voyages et à tout soudain donc!
les compliments helvétiques de Jack Conteur font rosir de plaisir mes oreilles pointues....
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