Une
grille de caniveau, on n’y fait guère attention. Il n’y a pas de honte à le
reconnaitre : Les grilles de caniveau tout le monde s’en moque. S’en
contrefiche. S’en tape le coquillart. S’en bat les … noix. Une grille de caniveau
ce n’est pas le genre d’objet qui intéresse grand monde. A ma connaissance, personne
ne collectionne les grilles de caniveau. Aucun auteur passionné n’a jamais
écrit un livre à leur gloire avec de belles illustrations en couleurs. Et si on
faisait un sondage en demandant aux gens « que
pensez-vous des grilles de caniveaux ? » on verrait que personne
n’a vraiment d’opinion sur le sujet. Il
y a comme çà des choses que l’on croise tous les jours et qu’on ne remarque
presque jamais. Si un jour fort improbable
quelqu’un vous traite de « grille de caniveau » se sera sans
nul doute pour se gausser de votre trop grande discrétion.
En
fait on les remarque seulement quand y’en a plus. Oui on constate plus
facilement leur absence que leur présence. Quand des petits malins les ont retiré pour
faire une très mauvaise farce aux piétons.
Alors, on tombe dans un trou. Un
trou noir. Dans ces cas là, on se casse souvent une jambe et après çà on a
jamais plus envie d’entendre parler des grilles de caniveaux. Pourtant
certaines d’entre elles mériteraient un peu plus d’attention. Un chouia de
vigilance. Je ne souhaite inquiéter
quiconque mais les grilles de caniveau ne sont pas aussi inoffensives qu’elles
y paraissent.
Celle
qui nous intéresse aujourd’hui se trouve sur un vieux parking dans un quartier
de Montbéliard. A priori elle n’a rien d’exceptionnelle. Légèrement teintée de
rouille et quelque peu envahie d’herbes sauvages. Une grille de caniveau très
ordinaire. On ne peut deviner que cette grille nous protège des créatures qui
vivent dans les ténèbres humides et souterraines.
Il
y a quelques années, un samedi soir, il était presque minuit quand la grille a
légèrement bougé. Puis elle s’est soulevé à quelques centimètres au-dessus du
sol. Ensuite elle a glissé lentement, très lentement, sur le goudron du
parking. C’était comme si on ouvrait une trappe. Du trou noir est sortie une
« chose ». Une chose gluante aux yeux jaunes luminescents. Une de ces
choses qui normalement ne vivent que dans les vieux contes. Une de ces
créatures immondes qu’on ne devrait rencontrer que dans Les histoires
d’Halloween. Normalement.
Cette
nuit-là, sur le vieux parking d’un quartier de Montbéliard. Deux amoureux se bécotaient dans une 206 bleue qui semblait
verte sous la vague lumière d’un lampadaire solitaire. L’endroit n’était certes
pas des plus romantiques mais il avait l’avantage d’être désert. La 206 était
l’unique véhicule garé sur ce parking. Et puis, de toute façon les
montbéliardais ne sont pas réputés pour leur romantisme. La preuve : on
parle de vache montbéliarde, de saucisse de Montbéliard mais personne ne parle
jamais de romantisme montbéliardais.
Les
amoureux de la 206 se croyant seuls au monde, tout occupé qu’ils étaient à leur
bouche à bouche étaient loin de se douter
que quelque chose les observait. Quelque chose qui était sortit du
caniveau. C’était gros comme un lapin, çà s’appelait un Grappin. Oui, c’était
le nom que leur donnait.
Jadis
les Grappins vivaient dans les puits mais de nos jours les puits se font plutôt rares aussi certaines de ces horribles
créatures se sont rabattues dans les
caniveaux et les égouts. Il faut savoir que Ces monstres humides ont une
singulière fascination pour les flammes. Autrefois Ils mettaient le feu aux
granges, aux charrettes de foins et aux maisons des humains qui leur
déplaisaient. On peut dire que c’était un de leurs loisirs préférés. Malgré les
siècles passants, certains Grappins ont encore gardé ces mauvais penchants d’incendiaires.
Ce
soir-là, le Grappin du parking sautillait entre les vieux arbres. Il avançait sur
le macadam jonché de feuilles mortes, de mégots et de vieux chewing-gums. Et
puis, lentement, le Grappin grimpa sur la 206. Les doigts de ses mains et les
orteils de ses pieds faisaient ventouses sur la carrosserie. Les deux amoureux
ne se rendaient toujours compte de rien. Ils se bécotaient inlassablement.
N’empêche, ils faillir se mordre mutuellement la langue quand du coin de l’œil
ils aperçurent le Grappin qui les lorgnaient derrière le pare-brise. Sans
réfléchir ils ont abandonné la voiture et se sont sauvés dans la nuit. Chacun
dans une direction différente !
Quelques
secondes plus tard la 206 flambait allègrement et une bestiole aux yeux jaunes regardait le
spectacle en battant des mains. Comment les Grappins arrivent à allumer le
feu ? Ça, personne ne le sait.
C’est leur secret. Mais en tous cas, une chose est sûr, ils n’ont pas perdu la
main.
Ainsi,
on voit parfois des carcasses de voitures brulées, abandonnées sur un parking
désert ou au bord d’une rue peu
fréquentée. On se dit que ce sont des
voyous. Des vandales. Qui ont fait çà. Le plus souvent sans doute. Mais parfois aussi c’est un Grappin qui s’est
amusé. Après tout, même les créatures
qui vivent sous les grilles de caniveau ont aussi besoin de distraction.
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