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C’était
un de ces hivers où les maisons ont de grandes dents. De longs crocs blancs ayant
poussés sur les gouttières. Un de ces hivers où les maisons mangent les
gens et les gardent bien au chaud au
creux de leur ventre de pierres.
Des
hivers aussi froids, le village de Pirey en avait rarement connu de pire. Un hiver aux arbres nus. Un hiver glacial qui
sentait le charbon. Un hiver qui piquait les yeux. Un hiver, disait grand-père,
ou les corbeaux volaient sur le dos pour
ne pas voir la misère des hommes. Un hiver au ciel gris où Noël se prenait pour
la Toussaint.
En
ce temps-là, la famille Barbizier habitait rue des Néfliers. Ici se regroupaient tout
ceux du village qui n’avait presque rien pour vivre. Et cette année-là ce
presque rien se réduisait à peau de chagrin. Dame Misère avait fait son nid dans
toutes les maisons du quartier. Aussi, depuis longtemps, la mère Barbizier avait
prévenu ses enfants : Il n’y aurait
pas de cadeaux cette année. Pas de jolis paquets sous le sapin. Le père Noël
était fauché. (On notera en passant que d’une
certaine manière le fait que le père noël n’ait pas d’argent pour acheter des
cadeaux pouvait passer pour une preuve supplémentaire de son existence).
Sous le toit de la famille Barbizier cohabitaient plusieurs générations. Les
trois enfants, les deux parents et le grand-père. Le vieux Barbizier. Un
bonhomme plutôt épatant que les malheurs n’avaient pas épargné. Il avait connu deux guerres dont l’une lui
avait volé un bras mais jamais on ne l’entendait se plaindre. C’était un homme
étrange qui à 73 ans regardait l’existence avec des yeux d’enfant. « Ce n’est pas parce qu’on est pauvres qu’on
n’a pas droit au merveilleux » répétait-il souvent. D’ailleurs,
c’était lui qui chaque soir racontait des histoires de fées ou de lutins à ses petits-enfants pour qu’ils
fassent de doux rêves. Pour eux, cette
année de disette, il se fit même braconnier. Un soir quelques jours avant Noël,
le vieux Barbizier ramena à la maison, un petit sapin vert, quelque peu rabougri,
qu’il avait été maraudé dans un chemin creux de la forêt communale. Même si c’était le plus
affreux sapin qu’on ait jamais vu, les
enfants furent ravis par cette bonne surprise. Ils s’activèrent bien vite à le décorer avec
les moyens du bord. Cet enthousiasme enfantin obligea la mère Barbizier à
répéter une fois encore que cette année il n’y aurait pas de cadeaux de Noël. Rien, peau de balle. Elle ne voulait pas que
ses enfants se fassent d’illusions. Par les temps qui courent, un sapin moche c’était déjà bien beau!
Pour le réveillon du 24 décembre, toute la
famille Barbizier mangea des patates à
l’eau comme chaque soir mais, tout de même, comme c’était Noël chacun put y ajouter un peu de sel !
Au
matin de Noël, le plus jeune des enfants Barbizier poussa un cri de joie qui
réveilla toute la maisonnée. Sous le modeste sapin décoré de gui, de houx et de
vieilles pommes de pin reposaient une famille de cadeaux surprenants. Un pour
chacun. Des paquets emballés dans du vieux papier journal et ficelés d’une
flopée de nœuds biscornus. Devant ce
spectacle inexplicable, les six Barbizier, du plus jeune au plus vieux avaient
yeux ronds et bouche bée. Avec une lenteur incrédule ils commencèrent à
déballer les cadeaux. Dans un silence presque religieux, Ils mirent longtemps à
dénouer les ficelles. Puis enfin le père découvrit le sien. C’était une
casquette. Sa vieille casquette qu’il mettait toujours pour aller aux
champignons. Et qui s’était envolée un jour de grand vent. La benjamine elle
trouva dans son paquet une ancienne poupée.
Jadis, si moche si démantibulée que sa mère avait finit par la jeter à la
poubelle. Elle lui revenait toute rafistolée avec une robe d’arlequin tissée
d’une multitude de petits bouts de chiffons colorés. Pour la mère ce fut une
boucle d’oreille qu’elle croyait avoir perdu un soir d'été dans l’autobus. Le grand père reçut
un vieux marteau égaré voilà de nombreux mois.
Une
fois que tout fut déballé, ils se regardèrent tous avec des étoiles qui
brillaient dans leurs yeux. Tous biens heureux d’avoir retrouvé ces choses
familières. Ce bonheur là, ce bon et doux bonheur, il le devait, sans doute, au
Foulto.
Oui !
Le Foulto qui, des mois auparavant, avait subtilisé tous ces objets pour leur en
faire la surprise au matin de Noël. Le Foulto, ce lutin de la maison. Qui
d’après grand-père habitait depuis toujours dans un coin sombre du grenier.
Celui qui toute l’année égare les objets. Glisse des puces sous votre oreiller ou
met trop de sel dans la soupe. Quand
après la lessive, il manque une chaussette, c’est à coup sûr le Foulto qui l’a
chipé. Le vieux Barbizier disait que c’était pour s’en faire un nouveau bonnet.
A bien y regarder le Foulto faisait lui aussi parti de la famille Barbizier.
C’était lui cette année-là qui avait joué à sa façon le rôle du gros bonhomme rouge et avait en ces temps de misère
offert à la famille Barbizier son plus beau matin de Noël.
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2 commentaires:
Trop beau, trop bon ce joyeux Foulto! M'est avis qu'il doit s'en promener u dans ma grange... Me r'tarde de découvrir ce qu'il va nous placer sous le sapin cette année!
Allez, joyeux et précieux féericologue, de toutes joyeuses et féériques fêtes et une année '14 pleine de fées, de contes, de rires et de musique à toi et à ceux que tu aimes!
je ne doute pas un instant que les Foultos, Servans et autres lutins d'alentour viennent t'écouter quand tu slam ou racontes des histoires.
alors Jacquou le Mentou pour toi et les tiens je souhaite pour la nouvelle année une ribambelle de jours heureux !
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