Cette après-midi de juillet 1975, le village de Chaux portait bien son nom. Il y faisait une chaleur à faire fondre les pierres. Insensible à cette fournaise, un jeune homme marchait d’un bon pas dans la rue de la Vaivre. Avec son panier d’osier sous le bras et son vieil opinel en poche, Laurent Magnin – sans vouloir l’offenser - ne donnait pas l’impression d’être le portrait craché du parfait aventurier. Non. A le voir cheminer dans ses grandes bottes en caoutchouc on pouvait juste penser que les mouches allaient tomber quand ses pieds reverraient la lumière. Mais l’expérience nous dicte que les premières impressions sont parfois trompeuses. Laurent Magnin se dirigeait vers la forêt de la Vaivre avec l’état d’esprit d’un chasseur de trésor.
Dans tout le canton de Giromagny, il n’y avait pas de meilleur chasseur de girolles ! S’il existait un championnat régional des champignonneurs, sur que Laurent Magnin finirait sur le podium. Ce gars-là avait le don des champignons. Les orages des jours derniers et la chaleur d’aujourd’hui lui laissaient espérer une belle poussée de chanterelles. Laurent Magnin ne se connaissait que deux passions dans sa vie : les champignons et les romans fantastiques de Tolkien. Dés qu’il pénétrait dans la forêt de la Vaivre, le jeune homme espérait toujours y croiser quelques Hobbits de la Comté, des fées des bois, ou même des trolls. Il faut savoir que les consommateurs de champignons ont souvent se genre d’illusions.
C’est donc avec le pas léger d’un chasseur de légendes qu’il visita ses coins secrets qui tout au long de l’année lui fournissaient de belles récoltes. Des coins dont certains lui avaient été révélé par son grand-père sur son lit de mort. Chez les Magnin, la cueillette des champignons n’était pas un loisir mais presque une raison de vivre.
Laurent approchait de l’étang la Dame quand il tomba sur un premier trésor. Un cercle magique de chanterelles dorées entourait le pied d’un gros chêne. Accroupi et le sourire aux lèvres, il commença sa récolte. Alors qu’il allait cueillir la plus grosses de ces girolles un grand silence se fit dans la forêt. Plus un craquement, plus de chant d’oiseaux. Laurent releva la tête et à travers le feuillage, il aperçut une silhouette verte au bord de l’eau. Une silhouette que les rayons éblouissants du soleil rendaient difficile à regarder. D’un mouvement gracieux elle fit tomber sa robe et se glissa nue dans l’eau.
Aussitôt un mot magique résonna dans son esprit : Vouivre ! Cette apparition était bel et bien une Vouivre. Celle que son grand-père appelait « la Dame de l’étang ».
Non, il ne rêvait pas. La Vouivre nageait dans l’étang, à quelques mètres de lui. Toutes les vieilles histoires de son grand-père lui revenaient en mémoire. La Vouivre, cette femme qui commandait aux serpents.. Cette fée des bois qui déposait toujours son escarboucle, un rubis rouge, avant de se baigner. Elle était là. C’était peut-être la chance de sa vie. Alors, sans plus réfléchir, Laurent le chasseur de champignons se mit à ramper au milieu des broussailles pour aller cueillir l’escarboucle. Il n’avait pas vu la Dame enlever son rubis mais à coup sûr il devait être là, déposé quelque part près de la robe verte. Laurent retenait son souffle. Maintenant à quatre pattes, il tripotait par tous les bouts la robe abandonnée par la vouivre, cherchant fébrilement l’Escarboucle. Rien, il ne trouvait rien. Pas plus d’escarboucle que de beurre en branche ! Le temps lui était malheureusement compté, il s’en retourna toujours rampant vers les fourrés. Juste à temps pour voir la Vouivre nue sortir de son étang, ruisselante d’eau et de lumières. Pour la première fois de la journée Laurent Magnin avait chaud, très chaud en contemplant cette grande fille rousse aux yeux verts. Elle était belle et impudique comme une statue de square qui se mettrait subitement à vivre. Le vrai trésor n’était-il pas de la voir ainsi ?
A peine séchée, la Vouivre se glissa dans sa robe verte et s’en alla aussi mystérieusement qu’elle était venue. Laurent resta assis longtemps au milieu de ses chanterelles. Un grand sourire béat tracé entre ses deux oreilles. Il avait vu la Vouivre ! Déjà, il savait qu’à la dernière seconde de sa vie, c’est à cette chaude après-midi de juillet 1975 qu’il repensera.
Bien sûr, si ce jour-là, il avait suivit sa merveilleuse baigneuse ; Laurent Magnin aurait assez vite découvert qu’elle avait garé son camping-car orange sur la route de Grosmagny. Et qu’elle était allée faire un tour en forêt pendant que son compagnon Helmut changeait une roue. La Vouivre de Laurent Magnin s’appelait en réalité Madeline Lambretin et vivait dans la banlieue de Bruxelles.
Par bonheur Laurent Magnin ne sut jamais que sa Vouivre était belge !
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