lundi 19 mai 2014

le village féerique !

Dire que certaines mauvaises langues de vipères répètent sans se lasser que les fées n'existent plus !











samedi 3 mai 2014

VOBERA



 

C’était une profonde caverne de roches grises et moussues, remplie d’ombres rampantes et d’obscurités humides. Elle se trouve perdue au cœur d’une vieille forêt de Franche-Comté. Bien loin des vilaines villes humaines, inféodées à la fée électricité. Presque invisible dans le décor sauvage, telle un monument de silence, la caverne semble commémorer un âge d’or à jamais perdu. Au temps celtiques, les derniers druides du peuple Séquane y ont chanté un ultime chant avant de périr sous les assauts de la civilisation romaine.
C’est là que vit la vouivre. Vobéra. L’hiver tapis sous l’épais manteau de neige, elle rêve et ses songes dansent dans son œil plus lumineux qu’un soleil rouge. Au printemps, elle sort de sa tannière et, du dernier coup de minuit jusqu’au premier chant du coq, la vouivre parcourt son domaine, sa forêt.
Libre et secrète, Vobéra vole d’une montagne à l’autre. Se baigne dans les sources et les torrents. Son règne sur la forêt semble sans fin aux promeneurs qui viennent sur ses terres respirer sa légende.
Un jour des hommes étrangers au pays se mirent en tête de construire une route au cœur du territoire de la vouivre. Vobéra fut éveillé par les rugissements d’un troupeau de bulldozers affamés. Déjà son sang de dragon lui injectait les yeux. Les machines la déconcertaient, lui répugnaient. Et les machines étaient au centre du monde des hommes. Ce monde mécanique lui faisait horreur. Dés le premier jour, elle décida de frapper les ennemis de sa forêt.
La nuit venue, Vobéra fit appel aux corbeaux. Du haut de sa colline elle les lança comme des flèches noires et vivantes sur les machines jaunes endormies. Les oiseaux cognèrent dur les monstres de tôles et les maculèrent de leurs fientes au-delà de l’imagination. Rien n’y fit. Les hommes ne comprirent pas l’avertissement. Au matin, maudissant les corbeaux, ils reprirent leur œuvre de désolation. Sans plus se poser de question. Le lendemain lorsque les vieux saules tombèrent, la vouivre hurla tout le jour. un vent haineux, criant et sifflant comme pies et serpents couvrit le vacarme polluant des moteurs. C’est alors que les anciens du village – qui ne goûtaient guère ces blessures dans le paysage – reparlèrent des vieilles légendes. De la vouivre de la forêt. Mais les hommes du chantier leur rirent au nez.
Le quatrième jour, les bulldozers avancèrent là où jamais machines n’avaient pénétré. Alors il fut trop tard. La vouivre voulut sa vengeance.
La nuit venue, la fée dragon décida de montrer sa toute puissance.  Habillée de vent, d’herbes mouillées et de feuilles ruisselantes, la vouivre commanda la sauvagerie du ciel. Brusquement ce fut l’obscurité. Toute la douce lumière qui venait de l’astre de nuit disparut : les grandes ailes de la vouivre se tenaient devant la lune.
Vobéra était comme un chef d’orchestre fou s’enivrant de sa musique. Elle dirigeait les instruments de sa colère. Le tonnerre assourdissant. La grêle, les éclairs aveuglants. Les quatre vents, les averses crépitantes, les sifflements de branches, les crissements de pierres, les sources débordantes…
Pour défendre sa forêt, Vobéra enfantait l’orage. Un orage rageur. Une nuit de vouivre ! Elle semait la terreur dans les cœurs humains. Les humains, si petits, si nus, si impuissants dans leurs maisons rendues noires et crétines par les coupures d’électricité.
L’orage coulait en ruisseaux et ses ruisseaux couraient dans les rues du village comme les serpents de la vouivre furieuse. Monstres d’eau qui se riait, des gouttières et des caniveaux.
La vouivre riait en voyant les toits s’envoler, les machines se retourner, les caves s’inonder… les hommes eux se cachaient dans leur trou. Priant pêle-mêle les pompiers, Jésus,  l’EDF et saint Elme.  La vouivre riait d’un rire méchant. Elle était sans pitié. Elle voulait les entendre lui demander grâce, la supplier. Les entendre pleurer, les voir à genoux. Eux, qui n’avaient eut aucune pitié pour sa vieille forêt.
« Vouivre » grondait le ciel. La nuit mangeait le paysage. La nuit tenait le village dans sa gueule fermée. Plus rien ne brillait sauf le feu de l’escarboucle sur le front de Vobéra. Et les petits humains pensaient à la fin du monde en sentant la colère du ciel leur tomber sur la tête.
Au bout du compte, au matin dévasté, les hommes comprirent enfin. Ils oublièrent leur route. Ils trouvèrent des raisons économiques, géologiques et même écologiques pour ne plus traverser la vieille forêt. Gageons que des routes ils en feront plus loin, là où il n’y a pas de Vouivre.
Quant à Vobéra, elle vit peu à peu sa grotte redevenir comme aux temps anciens un lieu de pèlerinage pour les gens du pays. Ils viennent là déposer un joli caillou, un petit gâteau ou un pot de miel pour la remercier de sa féerique protection. Si vous passez par-là, n’hésitez pas à lui faire une visite. C’est une profonde caverne de roches grises et moussues. Pour la trouver, c’est facile, c’est là où il n’y a pas de route…