lundi 6 juin 2011

La Sirène de Mathay


Le seigneur de Mathay se promenait un soir au bord du Doubs. Perdu dans ses pensées, il marchait sur un chemin escarpé, envahi de buissons épineux et de ronciers en fleurs, lorsqu’il lui sembla entendre, surmontant la musique du fleuve, un chant comme un grand rire. Il s’approcha. Une jeune dame, assise sur un rocher, coiffait sa longue chevelure flamboyante avec un peigne d’or. Elle chantait dans un dialecte merveilleux :

miravel foli blau valilili
o-io o-io fleu dou fleu
cheuloulou mir guillilili
faralo lancelune alliouffle latoubleu

Caché derrière de vieux saules, le seigneur de Mathay ne pouvait se résoudre à quitter du regard l’inconnue. Jamais de sa vie, il n’avait vu une femme aussi belle. Elle ressemblait à un soleil, avec sa peau et ses cheveux de flammes. Fine et idéale, elle portait une robe légère d’un vert sombre et des bracelets de pierres mystérieuses s’enroulaient comme des serpents autour de ses bras nus. Il sentit comme un vent chaud lui courir sur tout le corps et en tomba fou amoureux. Ses premiers mots pour la dame furent : « voulez-vous m’épousez ? ». Elle ne dit ni oui ni non.
Dés cette date, il la retrouva chaque soir au bord du Doubs. Jamais, il ne se rassasiait de l’entendre et de parler avec elle. Toujours secrète, elle ne lui révélait ni d’où elle venait, ni où elle allait en le quittant vers minuit. A chaque fois, il lui reposait la même question. La belle le faisait languir, elle souriait d’un air mi-oui, mi-non.
Un jour, se promenant sur les lieux même de leur première rencontre, l’amoureux ne put se contenir, la magnifique dame sentit un baiser la piquer au cou. Elle poussa un petit cri rieur, s’échappa du bras de son compagnon et elle disparue en un clin d’œil, laissant le seigneur de Mathay des plus désemparés. Un instant plus tard, il vit sortir du Doubs, ruisselante et éblouissante, une jeune femme comme une sœur blonde de sa rousse bien-aimée. Plus magnifique encore ! Sur sa peau brillait la magie de la pleine lune. D’une voix voluptueuse, elle invita l’homme à la suivre parmi un bosquet de roseaux. Là où mille hommes n’auraient pas hésité plus longtemps qu’un battement de cils, lui le Seigneur de Mathay refusa tout net. Et pour en finir avec la blonde, il lui affirma être épris pour l’éternité d’une dame rousse. Sans le savoir, il venait de réussir l’épreuve imposée par sa belle. Alors elle dit oui au mariage mais à la condition étrange que chaque nuit de vendredi elle le quitterait et que jamais il ne cherche à la suivre. S’il rompait ce pacte alors leur union serait morte !
Deux jours après leur mariage fut célébré. Jamais encore, dans tout le pays, on n’avait vu bonheur aussi parfait. Jamais plus on ne le verra.
Il fallut dix ans, dix ans tout juste, pour que la curiosité vienne ronger le bel édifice de leur amour parfait. Une nuit de vendredi, une ombre suivit la châtelaine de Mathay. Une ombre qui l’épie et s’étonne. La dame se baigne dans le Doubs, elle nage à merveille. Rien de bien méchant. Une lubie ! sourit l’ombre. Et puis, s’approchant de la rive, l’ombre ne peut retenir un cri. Un cri d’épouvante ! Sous l’eau, dévoilée par la lune, la baigneuse nage, son corps nu terminé par une queue de poisson ! Le Seigneur de Mathay avait épousé une Sirène du Doubs !
Une vieille rumeur colporte que sous le choc de cette effroyable découverte l’époux de la Sirène aurait perdu la raison. Jamais, depuis cette nuit, il ne revit sa femme. On le surprenait parfois au bord de l’eau, assis sur un rocher, en train de chantonner pour lui-même:

miravel foli blau valilili
o-io o-io fleu dou fleu
cheuloulou mir guillilili
faralo lancelune alliouffle latoubleu



Le meilleur moment de la journée pour apercevoir la Sirène du Doubs est le crépuscule, lorsque les berges du fleuve se montrent désertes et silencieuses. Fuyante, mouvante, ondoyante cette Fille des Eaux a comme toutes celles de sa race un charme et une volupté qui l’emportent sur les femmes humaines les plus sensuelles. Certains Conteurs bien informés affirment que « Ses baisers ont le goût des pétales s’envolant des cerisiers de mai ».


un soir peut-être, vous la verrez apparaître...

4 commentaires:

A.DAN a dit…

Très sympa la dernière photo. Sincèrement.

le Féericologue a dit…

et encore tu ne vois que l'ombre...

Adélaïde C. a dit…

Que c'est bon de lire des légendes de sa région natale !

le Féericologue a dit…

Je constate, chère Adélaïde, que tu t'es bien promenée sur ce blog. j'en suis fort aise. Une terre qui a pour nom la Franche-Comté ( contée ?) ne pouvait qu'enfanter de belles légendes !